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Critique de HundredDreams


Haruki Murakami fait parti de mes auteurs préférés. Son univers surnaturel, onirique et poétique me fascine. Lire un de ses romans, c'est comme vivre un rêve éveillé où l'on glisse lentement de la réalité vers le fantastique et l'irrationnel. J'aime déambuler tel un funambule marchant en équilibre sur le fil tendu entre ces deux mondes.

« La course au mouton sauvage » est le troisième volet de la « Trilogie du Rat ». Deux autres romans le précèdent, « Écoute le chant du vent » et « Flipper » que je n'ai pas lus. Cela ne m'a pas gêné dans ma lecture, même si, peut-être, la lecture des deux premiers volumes m'aurait permis d'avoir une meilleure compréhension du roman.

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L'histoire débute lorsque le personnage principal publie, pour la promotion d'une société d'assurance, une photo très ordinaire d'un paysage de montagne où l'on voit en premier plan un troupeau de moutons.

Une scène pastorale tout à fait banale, mais qui va susciter l'intérêt d'un groupe mafieux.
Il est ainsi contacté par un homme de main, agissant pour le compte d'un homme important et très puissant qui souhaite en savoir plus sur cette photo. Devant le refus du publicitaire de dévoiler l'auteur de la photo et l'endroit où elle a été prise, l'homme le somme d'enquêter et de retrouver un des moutons photographiés.

Et voilà le lecteur embarqué dans une course folle, complètement abracadabrantesque pour retrouver ce mouton si unique.

Bien sûr, à première vue, l'histoire paraît ahurissante, extravagante, voire totalement absurde.
Mais c'est sans compter le sens sous-jacent à tout ce récit. Je ne pense pas avoir eu toutes les clés pour déchiffrer tous les indices semés par l'auteur, mais ce serait sans aucun doute une erreur de lire cette histoire seulement sous son aspect fantastique. Derrière le mystère et la brume entourant cet étrange mouton, se cache un univers qui fourmille de codes et de références à L Histoire, à la culture et aux croyances traditionnelles japonaises.

Ainsi, tout au long de cette aventure littéraire, le lecteur voyage dans le nord du Japon, mais également dans le temps (ou l'absence de temps), dans le passé du Japon, dans l'intime, dans les rêves, dans la folie peut-être.

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Ce que je retiens le plus souvent des histoires de Haruki Murakami, c'est cette impression d'étrangeté ambiguë que l'auteur laisse planer, et qu'il saisit avec une acuité si particulière et une justesse poétique qui m'emportent. Ses descriptions de paysages, de maisons, sont vraiment très belles et participent à nous plonger insensiblement dans cette atmosphère mystérieuse, insaisissable et menaçante où le silence et les lieux ont une importance capitale.

« Il régnait une espèce d'énigmatique silence dans la pièce. Un silence comme on en rencontre parfois en pénétrant dans une vaste demeure, et qui naît d'une disproportion entre la faible présence humaine et l'étendue du lieu. Mais la qualité de ce silence était encore différente. C'était un silence éminemment pesant, d'une insistance sournoise. Il me semblait avoir connu quelque chose de semblable un jour, mais il me fallut du temps avant qu'un souvenir précis ne me revienne. Je dévidai le fil de ma mémoire, comme on feuillette les pages d'un vieil album. C'était ce silence qui entourait un malade incurable. Un silence habité par le pressentiment d'une mort inévitable. Où l'atmosphère poussiéreuse en disait long. »

Une étonnante galerie de personnages insolites et fascinants va accompagner le narrateur dans sa quête pour retrouver cet animal : l'homme-rat, l'homme-mouton, la femme aux oreilles magiques qui a le pouvoir de prémonition, le docteur es mouton.

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L'écriture symbolique de l'auteur raisonne de multiples ambiances, envoûtantes, oniriques, mélancoliques, tristes, ou inquiétantes. Comme dans tous ses autres romans, l'auteur nous entraîne aussi vers des chemins d'une sensualité troublante, discrètement charnelle.

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Haruki Murakami n'explique pas tout, c'est au lecteur de comprendre la symbolique autour de ce mouton si particulier, d'interpréter le texte.

« le temps coulait dans cette demeure d'une manière aussi insolite que dans la pendule démodée du salon. Il suffisait qu'un quelconque caprice nous incitât à lui remonter ses contrepoids, et le temps coulait, tic-tac, en battant la mesure. Mais pour peu qu'on s'en allât et que les poids parvinssent au bout de leur course, le temps s'arrêtait là. Et des amas d'un temps immobile empilaient alors sur le plancher des couches de vie décolorée. »

Ainsi, on entre doucement dans un autre monde hors du temps, à la fois mystérieux et métaphorique, où il se passe des choses déroutantes et inexplicables, où certains personnages possèdent le don de prémonition, le pouvoir de communiquer avec les morts ou celui de posséder le corps d'un autre.
On côtoie un vieux chat à besoins particuliers, des fantômes, des moutons inquiétants qui se retournent simultanément et vous fixent de leurs yeux étonnamment bleus.

« de leurs pupilles scintillant au fond des ténèbres, ils me regardaient fixement. Ils ne parlaient pas, ne pensaient pas, ils me regardaient fixement. Il y en avait des dizaines de milliers. Avec ce claquement monotone de leurs dents qui voilait la terre entière.
Quand la pendule sonna deux heures, les moutons s'évanouirent.
Et je m'endormis. »

Il est aussi question de pénis de baleine, d'un virage dangereux ouvrant vers un autre monde.
Soit le lecteur adhère à cet univers surnaturel, soit il reste totalement imperméable à cette étrangeté.

« Il fait terriblement froid en ce moment, j'en ai les mains tout engourdies. Même que j'ai l'impression que ces mains ne sont plus mes mains. Et que ma cervelle n'est plus ma cervelle. Il neige en ce moment. Une neige qui ressemble à la cervelle des gens. Et qui s'amoncelle sans relâche, comme la cervelle des gens (cette phrase ne veut rien dire). »

Chose curieuse, aucun personnage n'a de nom, même le narrateur ou son chat : ils sont seulement définis par leur caractéristique physique. Est-ce pour dire que le protagoniste de l'histoire est un homme ordinaire auquel le lecteur peut aisément s'identifier ?
Ce qui s'avère certain, c'est que sa vie est morose et étriquée et que cette recherche va l'encourager à rompre la routine et échapper à la monotonie de sa vie quotidienne.
Le voyage qu'entame le narrateur ressemble ainsi à un parcours initiatique, une quête d'identité, une recherche du sens de la vie et de la mort.

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À la fois thriller fantastique, récit initiatique et rêveries philosophiques, « La course au mouton sauvage » est un récit surprenant, mystérieux, baignant dans une atmosphère de réalisme magique. Les frontières entre la réalité et l'imaginaire se confondent, rendant le récit troublant et addictif.
L'écriture, simple, belle, musicale, est un délice. Je ne m'en lasse pas.
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