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Critique de Lucilou


"Taj" fut mon premier roman extrait du catalogue des éditions Philippe Picquier et il marqua le début d'une histoire plutôt réussie avec cette maison d'édition qui met brillamment l'Asie à l'honneur, l'Asie avec toutes ses facettes et la fascination qu'elle exerce sur moi.
Je dois cependant reconnaître qu'aucun des ouvrages découverts par la suite et dans le sillage de "Taj" ne me semble à la hauteur de ce dernier que j'ai relu plusieurs fois...

Le Taj Mahal fait partie de ces monuments que je rêve de voir en vrai et l'Inde est une destination qui m'attire. Pour autant, c'est un voyage que je n'ai encore jamais fait. Un peu par manque d'occasion ou de compagnons de route et beaucoup parce que j'adore l'idée de rêver fort à une destination et à un voyage avant de le réaliser vraiment. Tout est question d'attentes et de désir pour rendre la réalisation d'un rêve plus grande encore que les chimères avec lequel on se le représentait.
Lorsque j'ai choisi "Taj" dans la librairie il y a quelques années déjà, il y avait un peu de ça. Et puis sa couverture et son résumé enfin dans lequel il me semblait trouver tout ce qui fait une bonne histoire: l'Inde du XVII°siècle, l'amour fou, la description d'une vie de cour cruelle, le Taj Mahal et sa légende...
Si j'aime à me replonger aujourd'hui encore dans la prose très joliment traduite de Timeri N. Murari, c'est que je n'ai pas été déçue par ma trouvaille, loin s'en faut.

"Taj" tient toutes ses promesses et va plus loin encore.

Le roman entrecroise deux époques et se raconte à deux voix, ce qui est un procédé narratif que j'apprécie toujours infiniment quand il est maîtrisé, comme c'est le cas ici, où la construction du roman frôle la virtuosité.

D'un côté, on suit les pas d'un empereur vieillissant, despotique et désespéré qui ordonne à des milliers de pauvres travailleurs de faire jaillir de terre le plus beau monument que la terre ait portée en l'honneur de sa reine défunte. Auprès de lui, un serviteur fidèle et silencieux. Un peu froid sans doute. Bien plus loin de Shah Jahan, une famille affamée venue chercher à Agra de quoi se nourrir. Oh à peine, juste de quoi ne pas mourir d'inanition, et tant pis pour la boue, l'injustice et les blessures.

De l'autre côté, il y a un prince de conte de fées, beau et courageux, qui devra se battre contre ses frères pour gravir un jour les marches du trône et Arjumand, jeune fille issue de la noblesse, belle comme le jour et les étoiles réunis. Ainsi en va t-il des amoureux célèbres: la beauté leur est toujours donnée en partage, sans quoi, il n'y a pas de légende... Comme dans toutes les histoires aussi, c'est par un coup de foudre que débute l'histoire du prince Kurrum et de celle que la postérité rendra immortelle sous le nom de Mumtaz Mahal.
Hélas, leur mariage n'est pas du gout de la cour et de l'entourage du prince et les deux amoureux vont devoir lutter pour pouvoir se marier et après quoi, ils devront lutter encore pour conserver leur rang dans une cour où le poison et les poignards sont monnaie courantes, quand il ne s'agit pas de trahisons, de meurtres ou d'emprisonnements abusifs.

Ce qui fait la force incroyable de ce roman tient, pour moi, en deux raisons.
Tout d'abord, sous prétexte de raconter une incroyable histoire d'amour, "Taj" se révèle un formidable roman historique, nous dévoilant les arcanes et les turpitudes de la cour Moghol, n'hésitant pas, à travers le voile romanesque à nous présenter des pans entiers d'histoire et c'est véritablement passionnant. J'ai été happée, par exemple, par ce qu'on apprend des successeurs de Shah Jahan et de l'impact de leurs religions respectives...
Ensuite, et c'est définitivement ce que je préfère dans ce roman, il est tout entier nimbé de désenchantement, de nostalgie. Bien sûr que Murari nous raconte une histoire d'amour rentrée dans l'histoire comme étant magnifique… Oui mais voilà, il nous raconte surtout ce qui advient après le "ils se marièrent, eurent beaucoup d'enfants et vécurent heureux pour toujours". le bleu devient alors un peu moins bleu et interroge. Il y a le temps qui passe, les illusions qui se brisent contre la politique, le réel et tout le reste… Cela donne au roman une profondeur insoupçonnée, une amertume douloureuse et étrangement, c'est ce qui rend cette lecture si forte, si addictive. Qui lui donne son gout de "reviens-y".
Le ver était dans le fruit et le venin coule derrière l'or, tout l'amour du monde n'y peut rien, surtout si ce dernier est égoïste. C'est d'une infinie tristesse, mais c'est beau.
Tout comme ses monuments grandioses bâtis avec la sueur et le sang de ceux qui ne sont rien, qui en sont morts parfois.
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