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Critique de Lasseube


Le premier recueil de nouvelles qui compose ce livre, « Noces », qui date de 1911, six ans après « Les désarrois de l'élève Tӧrless », est une énigme. Sur les cent dix pages composant les deux nouvelles (« L'accomplissement de l'amour » et « La tentation de Véronique la tranquille »), l'écrivain autrichien propose un récit hallucinant (notamment les trente premières pages de la première nouvelle) censé retraduire ce qui se passe dans la tête des personnages principaux au niveau de l'inconscient (nous sommes à l'époque de Freud, son compatriote). Cela donne un galimatias invraisemblable. Robert avait-il consommé quelque chose avant d'écrire ? À force de parcourir des pages entières où, tout en prétendant signifier quelque chose, les mots ne paraissent rien dire, comme si l'auteur s'était ingénieusement employé à les faire subtilement dévier de leur fonction première de porteurs de sens, on se demande si Musil ne se fout pas de nous avec ces deux histoires. Aussi ne faut-il peut-être pas prendre trop à la lettre cette expérimentation étrange, et supposer que l'écrivain (avec l'ironie qu'on lui connaît, son goût des “expériences-limite”, son mépris de “l'esprit de sérieux”) s'est efforcé, sous prétexte de retraduire les tortuosités de l'inconscient, d'écrire des inepties sous le couvert de vraisemblances, ce qui est le propre du galimatias : un « discours confus qui semble dire quelque chose mais ne signifie rien » (CNRTL). Sous cet angle, l'exercice est fascinant. Or on sait que Musil était obnubilé par la bêtise. L'avis d'un psychiatre (Musil fréquentait à cette époque un psychiatre pour une maladie nerveuse d'origine cérébrale) serait le bienvenu. Toujours est-il que l'on comprend pourquoi le recueil « Noces » sera mal accueilli par le public en 1911.
Dans le second recueil, «Trois femmes », écrit en 1924, treize ans après l'échec commercial de « Noces », on constate avec soulagement que l'écrivain a repris ses esprits. Tant mieux. Il faut dire que, ayant participé activement à la Première Guerre mondiale, terminée six ans plus tôt, il n'est plus le même homme ; cela se sent. Les deux premières nouvelles (« Grigia » et « La Portuguaise ») proposent des récits un brin insolites mais bien écrits, avec cette désinvolture, cette dérision qui caractérisent la touche de l'écrivain, comme si l'homme, en arrière-plan, nous soufflait à l'oreille de ne pas prendre trop au sérieux ce qu'il nous raconte. La troisième nouvelle (« Tonka »), plus conventionnelle, est cependant émouvante. On sent toutefois dans ce recueil que l'écrivain se cherche encore, essayant de peaufiner un style qui est propre. C'est le chantier de « L'homme sans qualités », qui commence pratiquement à cette époque, qui lui permettra de concrétiser cette ambition.
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