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Critique de Lucilou


Et dire qu'Alfred de Musset a dit et écrit qu'avec "Les Caprices de Marianne", il avait commis une comédie... Menteur! Dramaturge perfide! Une comédie, tu parles Alfred! Une comédie? Une comédie! Mais c'est un drame "Les Caprices de Marianne"! Un drame qui a la beauté du diable, un drame désenchanté. Certes, c'est un drame qui commence comme un marivaudage, tout en légèreté... mais c'est un drame quand même ou l'amour et l'amitié ont leur part, où les personnages -un peu comme dans Lorenzaccio- avancent masqués sans pouvoir dire tout ce qu'ils voudraient dire et sans pouvoir être pleinement ce qu'ils sont.

Coelio est un jeune homme ardent, romantique et timide qui s'est épris de la jolie Marianne, l'épouse sage et vertueuse du juge Claudio. C'est, comme souvent, un mariage sans amour, une union de convenance et l'amoureux transi espère pouvoir ravir au mari sa belle épouse. Si seulement, il osait lui parler. Si seulement, il avait la superbe et le verbe haut d'un séducteur, d'un Roméo, d'un Cyrano! Mais il n'a que son amour trop grand pour lui, sa pudeur et sa gaucherie. Coelio, désespéré, se confie alors à son ami Octave. Octave, bohème et libertin, qui est tout ce qu'il n'est pas: séducteur, beau parleur, vivant, jouisseur, ne croyant pas en l'amour. Ce dernier accepte de se faire le messager de son ami auprès de la belle Marianne, d'autant plus aisément qu'elle est sa lointaine cousine. L'ambassade n'aura pas les effets escomptés: la jeune femme tombera sous le charme du messager qui tout cynique qu'il soit ne lui reste pas insensible non plus. Marianne qui se voulait vertueuse succombe à l'amour et propose à Octave un rendez-vous. Déchiré, tiraillé entre son amour naissant -lui qui pensait ne jamais y succomber- et son amitié pour Coelio, Octave perd pied et se tourmente. Finalement, c'est sa loyauté qui l'emportera sur son désir. C'est Coelio, par son entremise, qui se rendra au rendez-vous de Marianne. Il en mourra. le mari jaloux avait flairé l'intrigue amoureuse, les yeux plus lumineux et l'air plus rêveur de sa femme. Il ne lui en fallait pas plus pour faire de sa maison le piège qui se referme sur l'amant transi. Octave ne se remettra pas de la mort de Coelio, son ami, son double inversé, le reflet de la part de lui-même qu'il tenait caché au monde et lorsque Marianne, ô cruelle, viendra s'offrir et lui déclarer son amour, il fera fi de ses propres sentiments et la repoussera: "Je ne vous aime pas Marianne, c'était Coelio qui vous aimait".
Il n'y a rien de plus triste ni de plus beau que ce gâchis, que ce triangle amoureux qui se condamne à la souffrance et à la douleur. Rien de plus beau ni de plus triste que cette amitié plus forte que l'amour et que cette femme qui ose enfin être elle-même et assumer son désir, sans espoir.
Les tirades d'Octave sont tout au long de la pièce d'une beauté et d'une profondeur à couper le souffle et je lui trouve, encore aujourd'hui, une parenté avec Lorenzaccio, dans leur désir d'être au monde autrement que comme le monde les voudrait, dans leur mélancolie noire et leur désespoir. Les deux ne croient plus en rien ou en tout cas plus à grand chose et cela leur confère autant de richesse que d'ambiguïté. Face à Octave, Coelio parait plus fade, plus lâche aussi. Il n'en demeure pas moins attachant. Son introversion le rend entier, extrême... Si Octave, ambigu, est capable de jouer la légèreté et la désinvolture, de se jouer du monde et de ce qu'il lui fait subir, Coelio en est incapable. Il est entier, avec ce que cela suppose de puissance, aussi dissimulée fut-elle. C'est peut-être cela aussi, autant que sa fragilité, qui l'attache si fort à Octave... Quant à Marianne, elle est le personnage le plus fort de la pièce, sous ses dehors candide et si elle agace par ses caprices et ce qui ressemble à de l'égoïsme, elle demeure superbe et ses tirades sur la condition féminine sont de véritables joyeux.

Une comédie... Une comédie? La comédie humaine alors, avec son lot de douleurs et d'ambiguïté, de passions inabouties et de cris étouffés, d'amours blessés, d'incertitudes et de douleurs d'être au monde.

Quelque soit l'étiquette qu'on lui colle, "Les Caprices de Marianne" est une pièce d'une beauté et d'une mélancolie rares, un long sanglot déchirant et faussement léger comme savait si bien les ciseler Alfred de Musset, comme une tarentelle des temps anciens où le rythme de la danse peinait à en masquer les élégiaques accents.

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