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Critique de keisha


"Maqroll el Gabiero, c'est le gabier, et pour Alvaro Mutis, le gabier est la représentation même du poète, l'homme qui, solitaire tout en haut de son mât, voit et annonce tout au navire, le bon et le funeste. Ainsi, c'est du gabier que tout le navire dépend, tout comme lui dépend totalement du navire." (Avertissement de l'éditeur)



Ce roman avait tout pour me déplaire : littérature d'Amérique latine (j'ai des a priori que je cherche heureusement à démolir), il fait partie d'une série, il n'a pas de fin nette, bref, il n'est pas carré et cartésien. Et pourtant j'ai adoré.



A travers divers documents apparaît ce Maqroll el Gabiero, qui a pas mal roulé sa bosse, du Bosphore en Hollande, en passant par la France et l'Espagne, et remonte présentement le fleuve Xurando dans une chaloupe poussive au moteur capricieux conduite par un capitaine triste et un mécanicien mutique. Il se propose, sans trop y croire, d'atteindre des scieries situées près de la Cordillère et de monter un commerce. Trois mois de voyage lui laissent largement le temps d'écrire son journal de bord, de rêver, de revenir sur sa vie, de penser surtout à Flor Estevez, qui tient le cabaret La neige de l'amiral, perdu dans la Cordillère. Voyage-métaphore de sa vie, avec le mystérieux major qui intervient sans crier gare pour donner un coup de pouce à son destin...



"Mais en réfléchissant quelque peu à cette succession d'échecs, à ces virages que j'ai fait prendre à mon destin avec la même constante maladresse, je m'aperçois soudain que qu'une autre vie s'est déroulée à côté de moi, me frôlant sans que je le sache. Elle est là, continuant de s'écouler, somme de tous mes moments où j'ai refusé de prendre une autre route, où j'ai ignoré la possibilité d'une autre issue. C'est ainsi que s'est formé le courant aveugle d'une destin second qui aurait pu être le mien et l'est , d'une certaine façon, mais sur cette autre rive où je n'ai jamais posé le pied et qui défile, parallèle à ma route quotidienne. Il m'est étranger et pourtant il charrie tous les rêves, toutes les chimères, tous les projets, toutes les décisions qui m'appartiennent autant que cette agitation présente, et auraient pu être la matière d'une histoire qui se déroule aujourd'hui dans les limbes de l'éventualité. Une histoire semblable à celle-ci sans doute, mais faite de tout ce qui, ici, n'a pas été et là-bas continue d'être, se formant, coulant à mes côtés comme un sang irréel qui m'appelle et ignore cependant tout de moi. C'est-à-dire une histoire semblable à celle-ci dans la mesure où j'aurais pu en être aussi le protagoniste et l'imprégner de mon anxiété habituelle et maladroite, mais tout à fait différente quant à ses événements et ses personnages. Lorsque ma dernière heure viendra c'est, ce crois, cette autre vie qui défilera devant moi, me donnant le sentiment de quelque chose à jamais perdu, et non celle-ci, réelle et accomplie, dont la matière ne mérite pas même ce coup d'oeil ni cette révision tardive et conciliante, parce qu'elle n'en vaut pas la peine et parce que je ne veux pas qu'elle soit la vision qui soulagera mon dernier instant."



Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce roman est passionnant et se lit avec bonheur. Fleuve et forêt entourent la chaloupe, omniprésents par les cris, les odeurs, les couleurs ou les brumes humides... Au fil des digressions quelques détails de l'histoire se font jour, mais on reste sur une délicieuse frustration, n'ayant qu'une envie, en découvrir plus sur les aventures de Maqroll el Gabiero contées par Alvaro Mutis (il en a écrit d'autres!)*.
Lien : http://en-lisant-en-voyagean..
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