Une vraie rencontre.
Rare d'être frappé à ce point par un livre, de se sentir autant interpelé par un auteur, d'éprouver autant d'empathie pour son personnage principal, Maqroll ; au bonheur d'être son héros récurent, augurant de futures rencontres tout aussi réussies.
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Ce livre s'ouvre sur un superbe poème d'
Emile Verhaeren, « Les pêcheurs », que l'on relira d'autant plus qu'on découvre la vie et l'oeuvre de ce colombien cosmopolite, à l'aide de l'habile biographie qui suit, nous apprenant que ce livre, premier volet d'une trilogie, marque le passage à la prose pour ce poète qui manigance si bien ses mots.
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La qualité de son écriture, bien rendue par la traduction d'Annie Morvan — (interrogation à ce sujet, voyant que son oeuvre a connu au moins quatre traducteurs différents, dont le remarquable
François Maspero, sur leurs influences, ou non, pour le futur lecteur) — illustre parfaitement ce que la maîtrise poétique de la langue peut apporter à la construction d'un récit, sans que cela paraisse « ornemental ». D'une justesse désarmante, ses phrases n'en finissent de couler le long des corps et du temps, toujours vers la mer, esquifs réalistes n'ayant besoin de précisions géographiques pour exister.
Un flou qui matérialise cette Amérique Latine mieux qu'histoires ou frontières, dans cette échelle extra-humaine, teintant toute action des couleurs du dérisoire.
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Réminiscence involontaire d' « Aguirre, la colère de Dieu », film voyant le mutant Klaus Kinsky abimer son regard antarctique sur cette croisière monotone, suffoqué par une jungle à la sourde menace, les temps n'ayant pas beaucoup avancé depuis.
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La forme de l'histoire, journal de bord au jour le jour, immiscée comme mise en abîme, renforce et achève l'incarnation de notre héros Maqroll el Gaviero, à mille lieux de tout exotisme ou romantisme, tour de force d'une prose qui, à aucun moment, ne donne le sentiment d'hâbler son réalisme.
Paradoxe éclatant qui engendre cette éblouissante réussite. Beaucoup de superlatifs au risque d'abîmer le discret équilibre qui gouverne ces pages.
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Un bon rappel que la collection Cahiers Rouges de Grasset abrite une pile de merveilles, à des années-lumière de la boue éditoriale qu'ils produisent par ailleurs.