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Critique de Williamine


Je viens de terminer la lecture de ce roman et je dois avouer ma grande perplexité.
J'en ai d'abord commencé la lecture en anglais, il y a deux ans, et je l'ai interrompue, sans doute un peu perdue dans les méandres de ce roman complexe que, comme à mon habitude, j'ai lu de front avec plusieurs autres romans, journaux d'écrivains et autobiographies.
J'ai recommencé la lecture cet automne et de nouveau je me suis sentie un peu perdue. J'ai donc poursuivi la lecture dans la Pléiade, avec le secours de notes et de la notice.
L'impression que j'en retire est encore la même. Un sentiment d'égarement, au sens du lecteur qui a perdu son chemin parmi tous les sentiers esquissés par l'auteur.
C'est une histoire racontée par un narrateur qui veut écrire la biographie de son demi-frère qui était écrivain.
A l'issue de ma lecture, après le mot« fin », j'ai une nouvelle fois recours à la notice de l'édition de la Pléiade pour m'aider à y voir clair.
Page 1540 : « Ce ne sont donc pas seulement les trames chronologiques qui s'enchevêtrent mais des couches de textes qui se superposent »
(NDLR : Je comprends mieux pourquoi je suis perdue ...)
« Ce roman préfigure donc, sur un mode mineur certes, Feu Pâle : V., comme Kinbotte, s'empare non pas d'un texte littéraire mais d'une vie, celle de son demi-frère écrivain. Il se comporte un peu comme Fiodor, dans le Don, qui prétend faire son apprentissage d'écrivain en écrivant sur son père, entreprise à laquelle il finit par renoncer, puis en composant la biographie caricaturale de Tchernychevski, avant d'entreprendre sa première grande oeuvre que l'on peut supposer être le livre que nous lisons. I l s'agirait donc là, entre autres, d'une sorte de Küntlerroman comme les Années d'apprentissage de Wilhem Meister de Goethe ou Portrait de l'artiste en jeune homme de Joyce. Mais c'est aussi plus que cela, car ce faisant, V. s'efforce sincèrement de raconter la vraie vie de son demi-frère, tout en sachant parfaitement que l'entreprise est plus ou moins vouée à l'échec. Dans un article écrit en français, « Pouchkine ou le Vrai et le Vraisemblable », Nabokov se demandait : « Est-il possible d'imaginer en toute réalité la vie d'un autre, de la revivre en soi et de la mettre intacte sur le papier ? J'en doute : et l'on serait tenté de croire que la pensée même, en dirigeant son rayon sur l'histoire d'un homme, la déforme inévitablement. Ainsi, ce ne serait que le vraisemblable, et non le vrai, que perçoit notre esprit » Dans son dernier roman Regarde, regarde les arlequins ! Nabokov est allé jusqu'à composer une sorte de caricature de lui-même alors qu'on attendait la suite de l'autobiographie annoncée depuis longtemps, Speak on, Memory, qui, elle, ne verra jamais le jour.
Voilà sans doute, ce qui fait la richesse de la Vrai Vie de Sebastian Knight et de quelques autres romans de Nabokov. Ces jeux spéculaires entre plusieurs textes, plusieurs personnages, cette incapacité à dire le vrai et à décrire la réalité autrement qu'en engendrant une multitude d'images métaphoriques et en mobilisant une infinité d'intertextes parviennent à créer des objets artistiques éblouissants et surdéterminés. La métaphysique, pour Nabokov, n'est pas un quelconque trésor de vérités cachées que le poète aurait pour mission de dévoiler mais le puits sans fond dans lequel il puise pour inventer des récits inédits, des destinées inouïes et des images fascinantes ; c'est, en d'autres termes, une allégorie de ce manque-à-être dont Lacan nous dit qu'il est à l'origine du désir. »
J'ai donc entrepris plusieurs fois de lire ce roman, en français, puis en anglais, puis dans les deux version en raison de la difficulté du fond du roman que j'espérais sans doute alléger en le lisant en traduction.
Ce roman fut donc le premier que Nabokov composa en anglais, sa langue d'adoption, une prouesse lorsqu'on voit la richesse du récit et du style !
Dans la notice Nabokov déplore de ne pas parfaitement maîtriser la langue anglaise et regrette des maladresses de style, précisément. Il correspond alors avec des écrivains américains de renom, sollicite leurs critiques et se soumet à leur jugement (Edmund Wilson, Earskine Caldwell, notamment.) Perfectionniste, alors que ce qu'il a réalisé relève déjà de la prouesse littéraire et linguistique.
Certains critiques de l'époque (1941) décrivirent le roman comme la « volonté non seulement de définir l'impossibilité totale de connaître quiconque mais, davantage encore comme, de suggérer la solitude maudite de tout être humain (…) un petit chef d'oeuvre de conception et d'exécution ».
Je m'interroge.
D'autres critiques ont écrit que ce roman était un « faux départ ».
Ce roman tourne beaucoup autour de la mort, il est vrai. le père est mort, le demi-frère du narrateur Sebastian Knight est mort, tout comme la mère de Sebastian.
And so what ! Si on n'écrivait pas sur les morts, si la mort était tabou dans les romans comme elle l'est si souvent dans la vie, la littérature comporterait bien peu de personnages. Et si la vie inspire la fiction, la mort le fait tout autant et avec même beaucoup plus d'intensité puisque tout être vivant, lecteur ou non, sait qu'il n'attend en fin de compte qu'une chose, la mort inéluctable. Et dans la mesure où la vie se mesure précisément à l'aune de la mort, il est normal, naturel et même nécessaire que la mort ait une telle place dans la vie, et donc dans les fictions qui sont le reflet même de la vie. L'ombre se définit bien par rapport à la lumière, et réciproquement !
A mon sens, si les critiques de l'époque n'ont pas aimé, pas su apprécier, c'est par défaut de sensibilité. Ce n'est donc pas l'auteur qui est en cause, mais leur propre vacuité, leur aveuglement, leur manque de profondeur.
A lire (et relire) donc, pour le plaisir du texte, pour la sensation de promenade labyrinthique, et pour toutes autres nouvelles raisons à découvrir à chaque nouvelle lecture !
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