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Critique de bdelhausse


Quel roman ! Nabokov sait y faire, assurément. Il nous promène en plus de 500 pages dans la peau d'un pédophile. D'un pervers. D'un type rempli d'orgueil et de suffisance, mais aussi de culture et d'aisance intellectuelle. Nabokov brouille les cartes... Et il dresse un portrait. Mais à mon avis, pas le portrait d'un homme, ni d'une nymphette (pour reprendre les mots d'Humbert Humbert, personnage principal du roman), ni d'un couple... mais de la société. A l'instar d'un autre roman-fétiche pour moi: de Sang-Froid, de Truman Capote.

Reprenons... la pédophilie, c'es mal. C'est clair. C'est indéfendable, pervers, obscène, illégal, immoral, et bien d'autres choses encore. Et Nabokov ne le nie pas. Même si, à mon avis, il ne prend pas parti et affiche une certaine neutralité. Ce qui chose le lecteur, clairement, si j'en juge par un bonne partie des commentaires.

Car Nabokov aime jouer avec le lecteur. Il écrit en "je"... C'est énorme... Comme dans "Il est de retour", le livre de Timur Vermes, écrit à la première personne... par Adolf Hitler. C'est gênant, choquant, inconvenant... Comme dans Bord de Mer de Véronique Olmi où une mère va tuer ses enfants. le lecteur n'est pas habitué à endosser le mauvais rôle, celui d'un salaud, d'une ordure, d'un désaxé, malade. Nabokov, fort intelligemment, débute son roman par une lettre de psychiatre. Et ensuite, c'est Humbert Humbert en prison... ouf, la morale est sauve. Il est en taule.

Les 100 premières pages sont dures. Vomitives, sans nul doute. Humbert Humbert y professe son amour du manque de courbes, des silhouettes impubères, du bassin étroit, etc. Il déborde de cynisme sur les femmes faites. Il faut bien avouer que ce cynisme, cette morgue, ces diatribes à l'encontre des femmes, cela m'a fait rire. Bien sûr, le rire n'est pas franc, car il est la contrepartie d'une monstruosité.

Ensuite, Nabokov relâche un peu la pression. C'est la partie "couple". La fuite en avant. Et la lente descente vers la folie et la destruction de l'image d'elle-même que peut essayer de construire toute jeune fille.

Le roman est intelligent, je l'ai déjà dit, car Nabokov nous donne à voir les choses à travers le récit d'Humbert Humbert. Récit reconstruit, mythomane, bien sûr. Donc, en permanence, il faut être vigilant, savoir percer l'envers du décor.

Mais Nabokov laisse filtrer, j'en ai touché un mot, une certaine image de la société. Humbert Humbert et Lolita croisent ce couple avec lequel ils jouent au tennis. L'homme, la trentaine au moins, la fille, une starlette de 16 ans... 16 ans, c'est légal, permis, casher. OK. Idem un peu plus tard avec le type qui gère les avoirs... et qui lâche sa femme pour une qui a la moitié de son âge. Permis, légal, casher. Ou le comportement de Kilt décrit en fin de livre... orgies, bacchanales. Permis, légal, casher.

Nabokov rebat constamment les cartes. En viendrions-nous à trop relativiser Humbert Humbert, et l'auteur nous balance les relations tarifées entre ce quadra et sa Lolita... on atteint le fond du fond du trou de l'abysse... quelques cents pour telle caresse... Et un peu plus tard, les pratiques teintées d'inceste quand Humbert Humbert s'identifie à la figure paternelle (dont manque Lolita, clairement). On est aussi dans le viol à plusieurs reprises. La séquestration et le rapt semblent finalement des délits mineurs... Voler l'enfance, il n'y a pas de mots pour cela, sauf ceux de Nabokov.

En creux de cette sordide histoire, je l'ai dit, il y a la société... Notre société flirte largement avec l'équivoque sur le physique des femmes. Les magazines nous en montrent clairement androgynes. Twiggy, Kate Moss, ou les mannequins de ce pape de la haute couture à l'accent allemand. René tombe amoureux de Céline Dion alors qu'elle n'est pas pubère. Lewis Carroll n'adressera plus la parole à "son" Alice lorsqu'elle aura 18 ans... Pensons à cette chanson de Renaud où il parle de SA Lolita, et se trouve assez HS par rapport au sens du mot. Ou pensons à ce chanteur français encensé, vénéré, qui avouait régulièrement son amour des gamines... comment? Il y a plusieurs chanteurs qui correspondent...? Il m'est arrivé plusieurs fois de croiser des collègues qui aiment les pubis épilés. Silence dans la conversation, puis on change de sujet... Clap de fin. Lolita est un roman magnifiquement écrit sur un sujet difficile. le parti-pris de Nabokov est le seul qui permette de dénoncer les choses.
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