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Critique de Meps


Le titre d'un livre est parfois un choix difficile pour un auteur. Faut-il résumer le thème en quelques mots forts ? Laisser planer le doute avec un titre qui ne se comprend qu'après avoir lu une bonne partie du roman, voire qu'on ne comprend pas du tout (du genre le nom de la rose d'Eco) ? Faut-il se contenter de nommer le personnage principal pour que le livre s'incarne en lui ? Et quand à tout ça vous ajoutez que ce titre sera traduit et du coup peut-être trahi, vous vous demandez si cela valait la peine de se donner tant de mal.

C'est presque l'aventure inverse qui est arrivée à V. S. Naipaul avec ce livre. En effet, il indique dans sa préface qu'il regrette les analyses réductrices qui ont été faites de son titre "The Mimic Men" qu'on peut traduire littéralement par "Les imitateurs" et qui a fait dire aux critiques que Naipaul avait voulu mettre l'accent sur le fait que les hommes politiques post-indépendance des îles des Caraibes singeaient les dirigeants des pays occidentaux. Or Naipaul estime que son titre ne se limite pas à cette interprétation, que les habitants de ces colonies sont finalement aussi des sortes d'imitations d'hommes, trouvant difficilement leur propre identité dans le processus d'indépendance de leurs pays. Et c'est alors que la traduction française "Les Hommes de paille" montre son intelligence malgré l'éloignement du titre original puisque l'expression renvoie à la fois à la politique mais aussi par le sens concret, à une fragilité de l'être humain en lui-même.

Le livre est construit de façon à rendre au mieux possible cette quête d'identité. le narrateur essaie d'analyser son parcours, de le comprendre. La narration avance de façon hésitante, part du milieu de la vie de l'auteur, évoque son mariage, revient sur son enfance, passe par certaines évocations de vie plus mature, puis revient sur le parcours politique. Certaines phrases se répètent, prenant tout leur sens dans des contextes différents, certains sentiments de déjà-vu comme on en rencontre tous. Naipaul se sert de sa propre expérience d'enfant de famille indienne exilée aux Caraïbes pour construire son personnage principal qui ne parvient que rarement à se sentir à l'aise dans les costumes que son parcours lui impose de porter. le rapport complexe du personnage avec les femmes répond à la propre image de l'auteur, qu'il a livré dans la biographie autorisée The World is What it is, se décrivant étonnamment (lucidement ?) comme "obsédé, misogyne, sadique, violent".

Sans chercher d'excuses (à lui comme à son personnage), Naipaul veut comprendre la construction de ces êtres qui rêvent d'un ailleurs occidental mais sans cesse ramené à leur double origine: l'île de leur naissance et les racines de leur famille. Comment se trouver entre ces 3 pôles, comment analyser correctement l'influence de l'enfance, des rapports familiaux, de l'image du père, de la course à la réussite, de l'image que les autres projettent sur vous ? L'auteur ne donne pas beaucoup de réponses mais nous invite à cette odyssée de l'identité, décrivant au passage les affres de la politique dans ces pays qui se cherchent eux-même une identité et à qui on demande dès leur naissance, leur indépendance de trouver immédiatement la formule politique capable de représenter au mieux leur peuple métissé. Comme si ce que les grandes puissances occidentales avaient peiné à construire progressivement au cours de plusieurs siècles de tâtonnements politiques entre monarchie absolue, empire ou république (pour prendre l'exemple de la France) pouvait être évidemment réalisé en quelques décennies par des pays tout neufs. Et surtout, ne vous avisez pas de vous approcher de près ou de loin d'une dictature, au risque de vous faire juger immédiatement par ces mêmes grandes puissances assises sur leur expérience ancestrale de stabilité légendaire !

Bref, un roman très riche, parfois difficile à suivre dans les méandres d'un style qui se cherche autant que le personnage mais toujours en perpétuelle création. Comme cet auteur dont l'histoire n'aura pu que le pousser à questionner les décolonisations tout autour du globe, sans dédouaner personne de sa propre responsabilité, cherchant simplement à comprendre et retranscrire au mieux cette période de l'histoire où en quelques années tant de pays sont sortis de terre, tel le blé qui fournit la paille dont on fait les hommes.

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