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Critique de Ellane92


Les filles et leurs mères, quel vaste sujet ! Il faut dire qu'il concerne toutes les femmes, qui à défaut ou avant d'être mère, sont a minima des filles. Bien sur, les garçons aussi ont une mère, mais en ces temps proches de la journée de la femme, je vais me focaliser sur la partie féminine de la population... Personnellement, j'ai une mère (ben oui !), 4 soeurs (ce n'est pas rien) qui ont des filles, des fils, ou des filles et des fils, et deux filles. Ce livre d'Aldo Naouri, pédiatre piqué des thèses psychanalytiques freudiennes, maitre de conférence et grand spécialiste des relations intra-familiales, me paraissait parfait pour faire un point dans ces relations complexes que l'on entretient les unes avec les autres.

Alors, de quoi nous entretient Naouri dans son livre ? En premier lieu, il nous parle d'Une rencontre (c'est le titre de sa première partie). Les protagonistes de cette rencontre sont lui-même, jeune pédiatre presqu'à peine sorti de la fac, et d'une mère qui a... un fils (oui, je sais, moi aussi, ...). Bref, pour le moment, il ne s'intéresse pas aux filles, mais à leur mère, et notamment à celle-ci, qui le fascine par son calme, sa sérénité, sa confiance en sa toute-puissance vis-à-vis de son fils.
Ce qui l'amène à chercher les causes de sa fascination pour cette femme, et à repenser à sa mère qui, dans le temps, comme celle-ci, avait refusé un diagnostic médical définitif et l'avait sauvé (ça, c'est la deuxième partie, "D'une mère..."). le point commun entre ces deux mères, pour le pédiatre, c'est leur attachement à leur enfant. Quitte à retourner dans le passé, il en profite pour nous parler des études de médecines, qui visent à faire engranger aux futurs médecins des tas de connaissances sur les maladies et les symptômes, mais ne les amènent pas à s'intéresser à l'enfant en tant qu'individu vivant dans un écosystème singulier. Naouri clôt son second chapitre en expliquant que la mère est au début de tout (les pères apprécieront !), et en évoquant la double dépendance de l'enfant à sa mère et de la mère à son enfant.
Nous reprenons donc le fil (dans le troisième chapitre intitulé "... A l'autre...") de l'histoire de cette mère fascinante et de son fils. Elle lui sauve la vie une troisième fois (à son fils, vous suivez ?). A dire vrai, elle le ressuscite, au grand dam de tous le personnel hospitalier dans lequel est interné le fils, personnel lui aussi sous le charme (au sens "ensorcellement") de cette mère qui, nous dit Naouri, renvoie en fait à la mère protectrice et suffisamment toute-puissante pour influer sur les comportements de tous ceux qu'elle croise. L'auteur évoque alors le rapport des femmes avec le temps dans leur corps (le fameux cycle), et par continuité, celui des mère avec la maternité et l'angoisse que suscite l'implication "Donner la vie c'est aussi donner la mort". C'est cette angoisse de la mort qui engendre une relation "incestueuse" avec l'enfant, relation spécifique à l'enfant et au moment. Car l'angoisse comme la relation évoluent, ce qui explique qu'une même mère souffrira d'angoisses différentes et aura des comportements différents pour chaque enfant et en fonction du moment. Naouri revient alors sur la toute-puissance : côté mère, la forme qu'elle revêt dépend de plusieurs facteurs, comme l'enfant lui-même, les tiers et surtout le père et la place qu'il prend (ou qu'on lui accorde, il y reviendra), l'histoire familiale transmise et construite... ; l'enfant exerce également une forme de toute-puissance a l'égard de sa mère par ses besoins incessants à pourvoir impérieusement. Tout ça ne parait pas très optimiste ! Enfin, Naouri nous propose des portraits, des grandes catégories de mères. Bon, j'avoue, je n'y ai pas reconnu la mienne, pas plus que je ne me suis moi-même reconnue...
Bref, après ce tour d'horizons des mille et une mamans, il est temps d'en aborder, dans le quatrième chapitre ("... Et d'autres encore...") une autre qui avait échappé à nos filets : la mère de la mère ; ce chapitre traite du rôle toxique des grands-mères dans la relation que les mères entretiennent avec leur enfant.
Fichtre, abordera-t-on à moment donné la promesse évoquée par le titre ? Jusqu'à présent, cet ouvrage aura pu s'appeler "Les mères, leur fils et leurs mères" !
Nous en arrivons donc au cinquième chapitre intitulé "A mères veux-tu" (amères les mères ?), qui commence à se rapprocher du sujet (j'ai failli m'impatienter !). Dans cette partie, Naouri évoque les relations aliénantes des filles avec leur mère. Il nous explique que le déterminisme sexuel (le genre des enfants) est lié à la seule prévalence de l'état d'aliénation de la mère à sa mère et de son positionnement avec l'angoisse de mort. Là, je me dis que ma mère n'était pas très nette vis-à-vis de la sienne, et que je devrais arrêter de faire des enfants parce que, si j'ai une troisième fille, il va falloir me pencher sérieusement sur cette angoisse de mort ! Enfin, nous apprenons que les filles sont systématiquement victimes de la violence maternelle, violence non pas physique mais psychologique, car les filles sont mises en regard des angoisses et de l'aliénation inconscientes de leur mère. Freud disait que les femmes ne pouvaient pas résoudre leur Oedipe, Naouri qu'on ne peut sortir de ces relations aliénantes. J'aurais mieux fait d'être un garçon (mais ça, c'est la faute de maman, et de sa mère, et de la sienne, etc...) !
Le sixième chapitre, qui donne presque son nom au livre (ou inversement) : "Mères et filles", explique pourquoi et comment il ne peut y avoir d'issue dans la relation mère-fille : soit la fille est sous l'injonction de sa mère et ne peut en sortir, soit elle n'y est pas et s'y soumet d'elle-même pour tenter de lui plaire. Il nous explique aussi, en note de bas de page, que "Les filles ne craignent pas tout naturellement en effet, elles, d'être castrées" (on appréciera au passage le style clair et concis de l'auteur !). Ou la... Freud disait que les filles ne résolvaient jamais leur Oedipe, Naouri raccourcit le tout en nous expliquant qu'elles n'y entrent pas ! On dirait, à vue de nez, mais je ne suis pas spécialiste, qu'il y aurait comme qui dirait une légère confusion entre le pénis et le phallus...
Bref, on arrive alors au septième et dernier chapitre, "D'un père à l'autre". Naouri nous explique que la place du père, finalement, c'est celle que lui laisse la mère, qui reste toujours toute-puissante et victime de son angoisse de mort vis-à-vis de ses filles. Puis il revisite l'Oedipe en regard de cette toute-puissance, avant d'attaquer la postface.

Bon, bon, bon... Aldo Naouri, ça faisait longtemps que ses livres me faisaient de l'oeil, avec leur air de décrypter les mécanismes des relations familiales ("Une place pour le père", "Les pères et les mères", "Les belles-mères. Les beaux-pères, leurs brus et leurs gendres", "Le couple et l'enfant"...).
Je suis assez dubitative après cette lecture de "Les filles et leurs mères". Sur le fond d'abord : Naouri reprend tout un tas de choses très connues (le rapport des femmes au temps, qu'elles vivent dans leur corps, par exemple, le principe de la mère suffisamment bonne...), et puis, quand les idées sont plus originales, j'ai du mal à y adhérer, me disant que l'un de nous fait une erreur d'interprétation. Cette fameuse histoire du complexe de castration par exemple... Avec des filles qui ne jouent pas aux petits soldats parce qu'elles n'ont pas de pénis... Je me demande ce qu'en penseraient les professionnels de la petite enfance, dans les crèches par exemple, où des jouets de toutes sortes sont mis à disposition des enfants, indifféremment de leur sexe. Ceci dit, même si je connais ou n'adhère pas, il y a quand même des choses intéressantes dans cet ouvrage. Par exemple, réinterpréter l'Oedipe en regard de la toute-puissance maternelle, c'est assez original et permet de regarder un complexe archiconnu mais pas très bien compris (par moi la première) sous un autre angle.
Sur la forme, pareil, je n'adhère pas tellement. J'ai trouvé que le livre avait du mal à se positionner entre l'essai et le roman. L'écriture manque sacrément de rigueur et de démonstration, de précision et de clarté. J'ai souvent eu l'impression que Naouri "s'écoutait parler". En particulier, le texte est émaillé de grandes envolées littéraires qui sortent d'on ne sait où, et dont l'introduction dans le texte est expliquée par la suite comme : Voilà ce que dirait telle personne dans tel cas. Objection, votre Honneur ! C'est pure spéculation !
Enfin, l'auteur passe un certain temps à s'autojustifier de ses choix : de construire sa "démonstration" sur la base d'une anecdote "mère-fils" (même les justifications ne m'ont pas convaincues...), les petits procédés narratifs pas bien jolis "Si bien que, même si cela peut sentir à plein nez l'artifice, j'avoue avoir volontairement construit mon récit pour ne pas révéler ces détails plus tôt. " , de ne pas étayer plus certains points abordés dans ses ouvrages précédents, ... Bien sur qu'on n'est pas obligé de tout ré-expliquer, encore heureux ! Mais une note de renvoi en bas de page suffit, tandis qu'un "[...] je ne supporte pas de me répéter" me parait particulièrement malvenu et suffisant !
En conclusion, je dirais quand même que ce livre, somme toute pessimiste sur la fonction maternelle et ses relations à sa progéniture, apporte, nonobstant les éléments cités ci-dessus qui m'en ont pas mal gâché la lecture, quelques éléments intéressants, mais je n'en retiens pas grand-chose en terme de connaissance sur le monde. Ceci dit, je partagerais bien quelque chose autour de cette injonction maternelle avec mes soeurs. Celles qui ont des filles.
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