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Critique de berni_29


Le maître des âmes fut une manière pour moi de retrouver l'univers et l'écriture d'Irène Némirovsky. Ce n'est pas le récit que j'ai préféré de cette auteure, mais ce roman est surprenant pour sa construction d'une incroyable maîtrise et son cynisme effroyable.
Le personnage principal nous est pourtant tout d'abord sympathique et attachant. Comment ne pas éprouver une profonde compassion pour le parcours de ce jeune médecin étranger, Dario Asfar et de son épouse Clara, émigrés venus de Crimée ? Les premières pages montrent avec acuité la souffrance, la résilience et l'opiniâtreté de Dario Asfar sur ce chemin semé d'obstacles, les portes qui se ferment, les rebuffades, les humiliations, la pauvreté. Sa femme donne naissance à un garçon Daniel, il faut désormais nourrir trois bouches, pèse alors la menace d'être mis dehors par leur logeuse dans cette pension de famille niçoise « Mimosa's House »...
Ces portes qui se ferment, ce sont celles d'une société verrouillée sur elle-même qui ne supporte pas l'arrivée des émigrants qui affluent d'Europe centrale, c'est la société des années vingt, je précise au cas où vous auriez un doute : 1920... Dans cette société post-antidreyfusarde pour la moitié de sa population, Dario Asfar et sa famille sont des métèques, la vermine qui vient prendre le travail des Français.
Pourtant, Dario Asfar est animé d'un désir effréné et puissant de réussir, de s'élever dans sa condition sociale. Il est prêt à tout et c'est tout d'abord l'opportunité pour lui de pratiquer un avortement clandestin à la demande même de sa logeuse, pour lui rendre et garder par la même occasion le logement...
Puis la rage de survivre, l'ambition, un sens aigu de l'intelligence, un esprit vénal et une puissance de séduction auprès des femmes vont façonner son chemin, son ascension à venir, sa réussite enfin là comme un juste retour des choses, comme une revanche aussi... Mais à quel prix ? Qu'importe les moyens pour y parvenir, nourrir sa cupidité devenue sans bornes et c'est à cet endroit que ce jeune médecin ambitieux m'est devenu nettement moins sympathique.
Dario Asfar a l'idée ingénieuse de soigner les âmes d'une clientèle fortunée, dévoyant les toutes récentes théories psychanalytiques, tordant le cou aux valeurs les plus nobles du serment d'Hippocrate en faisant de ce médecin généraliste un médecin des âmes, qui plus un charlatan.
Pourtant cette intuition lumineuse aurait pu être une belle revanche à l'encontre de cette bourgeoisie arrogante qui l'avait tant humilié quelques années plus tôt. Mais la cupidité et le désir des femmes grisent notre médecin ambitieux et l'entraîne dans une valse sordide et effrénée. Je n'en croyais pas mes yeux, tandis que j'essayais d'ouvrir ceux naïfs et admiratifs de sa femme, la bonté du monde...
Le maître des âmes est un roman cynique et cruel où Irène Némirovsky sait ici une nouvelle fois déployer tout son art d'animer des personnages ambigus à la croisée de leurs destins, dans une écriture au scalpel.
C'est une peinture vorace de la société bourgeoise de l'entre-deux-guerres, mais la puissance du roman, selon moi, vaut surtout pour la manière dont est construit ce personnage tour à tour bienveillant, opiniâtre, machiavélique et sa relation avec ses proches dans sa métamorphose... Ce qui est intéressant dans ce personnage faustien empli de rêves et de démons, ce sont ses aspérités, sa part d'ombre, au travers desquelles Irène Némirovsky va tisser sa narration.
J'ai été surpris de découvrir que le maître des âmes fut tout d'abord publié sous forme d'épisodes dans le fameux journal pamphlétaire Gringoire.
Et puis, sur ce thème du rejet de l'étranger, comment ne pas être troublé lorsqu'on sait qu'Irène Némirovsky subira à son tour la haine de l'autre, l'antisémitisme et mourra après quelques semaines de détention à Auschwitz en 1942.
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