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Olivier Philipponnat (Préfacier, etc.)Patrick Lienhardt (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070342518
288 pages
Gallimard (18/01/2007)
3.57/5   134 notes
Résumé :
Nice, 1920 un jeune médecin affamé, Dario, accepte de pratiquer un avortement clandestin sur une flamboyante aventurière new-yorkaise afin de sauver de la déchéance Clara, sa femme, et leur nourrisson. Une solution qui permet à ce fils de marchand vagabond et métèque de sang grec et italien de survivre, malgré l'indifférence de la clientèle chic de la ville. Multipliant les expédients durant quelques années passées à Nice, Dario a brusquement l'idée de génie qui l'a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (31) Voir plus Ajouter une critique
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Dario Asfar est un émigré, un “petit Levantin des ports et des bouges”. C'est à Paris, quinze ans auparavant, que cet étranger venu de Crimée a réussi, à force de privations, à mener à bien ses études de médecine. A trente-cinq ans, installé à Nice depuis quelques mois avec une épouse et un nouveau-né à sa charge, chaque jour est un nouveau combat pour la survie. Nous sommes en 1920 : pour la société française “bien-pensante”, les étrangers sont des métèques et les métèques de la vermine. Alors, pour Dario, les portes restent closes. Peu de clients - et qui ne le payent pas -, se nourrir est un défi, s'acquitter de son loyer, une gageure, envisager un meilleur avenir, une chimère.

Le désespoir, l'impérieuse nécessité de la survie, le désir de se ménager, en dépit de tout, une place au soleil parmi les hommes, l'ambition, l'intelligence et, par dessus tout, la haine et le mépris de soi et de ses origines, peuvent conduire un homme à des choix hasardeux… Ce sera d'abord, pour rendre service à sa logeuse - moyennant forte contrepartie - un avortement clandestin puis, de fil en aiguille, d'abus de faiblesse en escroqueries - pour s'élever toujours plus haut dans les sphères de la haute bourgeoisie qui l'a jadis rejeté, qu'il admire autant qu'il la méprise et sur qui il entend prendre sa revanche -, la manipulation des esprits et le dévoiement des consciences… comme un Faust moderne, machiavélique et sans scrupules qui devient peu à peu, pour cette clientèle huppée qui désormais l'adore, le maître de leurs âmes. Avant que ne tombent les masques, avant l'inévitable châtiment.

Il y a dans le personnage de Dario Asfar - au-delà du simple désir d'ascension sociale et de la pure cupidité - une telle volonté de revanche, de soumettre à sa volonté ceux qui l'ont si profondément humilié, une telle rage de vivre et de survivre, un tel pouvoir de séduction allié à une telle intelligence, et une telle noirceur qui peu à peu l'envahit et finalement le condamne que l'on ne peut qu'entrer en une forme d'empathie consternée avec cet homme qui, au départ, époux et père attentionné, médecin bienveillant, ne demandait rien d'autre que le simple droit de vivre et la possibilité de le faire dignement, avec ce bel amour qu'il portait à sa femme que pourtant il trahira et cette tendresse pour un fils qui apprendra à le haïr.

J'ai dévoré d'une traite et vraiment beaucoup aimé ce roman cruel, sombre et terriblement lucide dans lequel Irène Némirovsky donne la pleine mesure de son talent. L'élégance et la précision de son écriture, la profondeur de ses analyses psychologiques, la justesse de sa peinture de la grande bourgeoisie frivole, raciste et méprisante de son temps - qui, à force de dérèglements, de luxe et d'excès, souffre d'angoisses et de troubles nerveux -, autant que la restitution qu'elle nous offre de ce climat post-antidreyfusard de l'entre-deux-guerres, de sa haine de l'autre et de l'étranger (qui aura les conséquences que l'on sait et dont elle sera elle-même la victime en 1942), font du “Maître des âmes” l'un de ces romans à la force évocatrice tellement puissante que l'on sait, à peine les a-t-on refermés, qu'on les gardera pour longtemps en mémoire.

[Challenge Multi-Défis 2020]
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Le maître des âmes fut une manière pour moi de retrouver l'univers et l'écriture d'Irène Némirovsky. Ce n'est pas le récit que j'ai préféré de cette auteure, mais ce roman est surprenant pour sa construction d'une incroyable maîtrise et son cynisme effroyable.
Le personnage principal nous est pourtant tout d'abord sympathique et attachant. Comment ne pas éprouver une profonde compassion pour le parcours de ce jeune médecin étranger, Dario Asfar et de son épouse Clara, émigrés venus de Crimée ? Les premières pages montrent avec acuité la souffrance, la résilience et l'opiniâtreté de Dario Asfar sur ce chemin semé d'obstacles, les portes qui se ferment, les rebuffades, les humiliations, la pauvreté. Sa femme donne naissance à un garçon Daniel, il faut désormais nourrir trois bouches, pèse alors la menace d'être mis dehors par leur logeuse dans cette pension de famille niçoise « Mimosa's House »...
Ces portes qui se ferment, ce sont celles d'une société verrouillée sur elle-même qui ne supporte pas l'arrivée des émigrants qui affluent d'Europe centrale, c'est la société des années vingt, je précise au cas où vous auriez un doute : 1920... Dans cette société post-antidreyfusarde pour la moitié de sa population, Dario Asfar et sa famille sont des métèques, la vermine qui vient prendre le travail des Français.
Pourtant, Dario Asfar est animé d'un désir effréné et puissant de réussir, de s'élever dans sa condition sociale. Il est prêt à tout et c'est tout d'abord l'opportunité pour lui de pratiquer un avortement clandestin à la demande même de sa logeuse, pour lui rendre et garder par la même occasion le logement...
Puis la rage de survivre, l'ambition, un sens aigu de l'intelligence, un esprit vénal et une puissance de séduction auprès des femmes vont façonner son chemin, son ascension à venir, sa réussite enfin là comme un juste retour des choses, comme une revanche aussi... Mais à quel prix ? Qu'importe les moyens pour y parvenir, nourrir sa cupidité devenue sans bornes et c'est à cet endroit que ce jeune médecin ambitieux m'est devenu nettement moins sympathique.
Dario Asfar a l'idée ingénieuse de soigner les âmes d'une clientèle fortunée, dévoyant les toutes récentes théories psychanalytiques, tordant le cou aux valeurs les plus nobles du serment d'Hippocrate en faisant de ce médecin généraliste un médecin des âmes, qui plus un charlatan.
Pourtant cette intuition lumineuse aurait pu être une belle revanche à l'encontre de cette bourgeoisie arrogante qui l'avait tant humilié quelques années plus tôt. Mais la cupidité et le désir des femmes grisent notre médecin ambitieux et l'entraîne dans une valse sordide et effrénée. Je n'en croyais pas mes yeux, tandis que j'essayais d'ouvrir ceux naïfs et admiratifs de sa femme, la bonté du monde...
Le maître des âmes est un roman cynique et cruel où Irène Némirovsky sait ici une nouvelle fois déployer tout son art d'animer des personnages ambigus à la croisée de leurs destins, dans une écriture au scalpel.
C'est une peinture vorace de la société bourgeoise de l'entre-deux-guerres, mais la puissance du roman, selon moi, vaut surtout pour la manière dont est construit ce personnage tour à tour bienveillant, opiniâtre, machiavélique et sa relation avec ses proches dans sa métamorphose... Ce qui est intéressant dans ce personnage faustien empli de rêves et de démons, ce sont ses aspérités, sa part d'ombre, au travers desquelles Irène Némirovsky va tisser sa narration.
J'ai été surpris de découvrir que le maître des âmes fut tout d'abord publié sous forme d'épisodes dans le fameux journal pamphlétaire Gringoire.
Et puis, sur ce thème du rejet de l'étranger, comment ne pas être troublé lorsqu'on sait qu'Irène Némirovsky subira à son tour la haine de l'autre, l'antisémitisme et mourra après quelques semaines de détention à Auschwitz en 1942.
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En plus d'une plume impeccable, Irène Némirovsky a ce talent inestimable de savoir percer ses semblables de son oeil acéré et d'en deviner tous les travers sous les faux-semblants. Un talent d'autant plus pregnant dans ce roman que son oeil est ici celui de l'immigré en France, de celui qui restera toujours aux yeux des Français l'étranger, et éclaire de ce fait la société de cette lumière si particulière faite à la fois de zones d'ombres profondes et d'éclat d'envie.

Dario Asfar, le personnage que met en scène ce roman, est fascinant à tous points de vue, dans l'opiniâtreté comme dans l'abjection. Arrivé des bas fonds de l'Europe à Paris avec sa jeune épouse pour faire à force d'immenses sacrifices des études de médecine, il vient de s'installer à Nice dans les années vingt quand débute le roman. Crevant de faim, attendant désespérément le patient qui lui préfère le bon docteur à la belle allure et au patronyme respectable, il prend conscience que, condamné à rester toujours le "métèque" aux yeux de la bourgeoisie qu'il méprise autant qu'elle le fait rêver, pour parvenir à la réussite sociale à laquelle il aspire de tout son être, il va falloir biaiser...

J'ai été littéralement happée par le destin de cet homme que l'on rencontre au moment de sa vie où un plafond de verre l'empêche de sortir de sa condition de paria, d'infréquentable, d'impair de nos pairs, personnifiant ainsi tous les étrangers du monde, puis dans son ascension fulgurante et frelatée, portant en elle-même sa chute. Sidérante Irène Némirovsky...
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On se demande où veut en venir Irène Nemirovsky avec Dario Asfar, médecin métèque méprisé et crevant de misère dans la Nice des années 20 alors que sa femme va accoucher et que l'on retrouve 15 ans plus tard officiant dans son riche hôtel parisien.

Glauque charlatan perverti, je n'ai pas trop cru à ses justifications, la pauvreté, la faim qu'il voulait épargner à son fils.
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Entre les deux guerres, un jeune médecin, immigré juif d'origine à la fois grecque et italienne, tente de s'établir à Nice. Sans accointance avec le milieu des privilégiés, n'ayant pas les moyens de cacher sa pauvre origine que dédaignent les puissants et les riches, ayant charge de famille, il finit par user de moyens illégaux, pour se sauver du dénuement. Par la suite, la fortune lui sourira, car il inventera une « médecine des âmes », un peu sophrologie, un peu psychanalyse, qui séduira et envoutera ceux de la bonne société, aux psychoses et angoisses multiples.
Vie et parcours d'un homme qui ne veut plus être pauvre, d'un étranger qui souffre sans discontinuer de ses origines, qui veut faire partie à toute force de la bourgeoisie fortunée et qui ne se cache jamais qu'il n'y est que temporairement supporté.

Il semble qu'on ait reproché à Irène Némirovsky, un antisémitisme virulent, dans ses romans et les descriptions très typées qu'elle fait de toute la population juive immigrée d'Europe centrale.
J'ai vu surtout, dans « le maître des âmes » un rapport accablant sur la difficulté infinie pour ces étrangers, de survivre dans un pays où ils arrivaient les mains vides, où on ne cessait de mépriser ce qu'ils étaient et ce qu'ils représentaient, où ils ne cessaient d'en souffrir. Il me semble que l'antisémitisme qu'écrit Irène Némirovsky n'est pas le sien, mais celui qu'elle constatait au quotidien, dans le milieu au sein duquel elle vivait, elle, fortunée et assimilée.
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
En voyant Dario, elle demanda :
- C'est bien ici qu'habite un médecin ?
- Oui, c'est moi.
- Pouvez-vous venir tout de suite, docteur ? C'est pour mon patron. C'est très urgent.
- Certes, je vous suis, dit Dario, le cœur plein d'espoir.
Ils firent quelques pas le long de la rue déserte. En marchant, Dario arrangea sa cravate, passa la main dans ses cheveux épais, toucha avec malaise sa joue mal rasée.
Mais la femme s'arrêta brusquement ; elle hésita, s'approcha de Dario et le regarda avec attention.
- Vous êtes bien le docteur Levaillant ?
- Non, fit-il lentement, je suis médecin également, mais...
Elle l'interrompit.
- Vous n'êtes pas le docteur Levaillant ?
- Il habite plus loin, au 32 la même rue ; si vous ne le trouvez pas, dit Dario en saisissant par la manche la femme qui s'éloignait, je suis chez moi toute la soirée. Mon appartement est au-dessus de la pension de famille " Mimosa's House ". Je m'appelle le docteur Asfar.
Mais elle avait disparu déjà. Elle avait traversé la rue en courant. Elle sonnait à une porte qui n'était pas celle de Dario. Il rentra chez lui. S'appeler Levaillant, Massart au Durand, quel rêve ! Qui aurait confiance en lui, Dario Asfar, avec sa figure et son accent de métèque ? Ce docteur Levaillant, son voisin, il le connaissait. Comme il enviait sa barbe grise, son air bonhomme et tranquille, sa petite voiture, sa jolie maison...
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Son visage était à la fois trop jeune et trop vieux pour son âge; elle avait plus de trente ans. Certains traits- le front, petit et bombé, sans rides, les paupières intactes, le sourire aux dents blanches, régulières, magnifiques, sa seule beauté- étaient d'une jolie fille, presque d'une adolescente, mais des mèches éparses dans ses cheveux crêpelés, mal coiffés, grisonnaient; les yeux bruns étaient tristes, ils avaient versé des larmes, veillé, contemplé la mort sur des visages aimés, attendu avec espoir, regardé avec courage; la bouche, au repos, était lasse, naïve et douloureuse.
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Je viens de si loin, je monte de si bas. C'est une halte que vous m'offrez aujourd'hui. Je suis né en Crimée, dit-il tout à coup, après un moment de silence: il était poursuivi par le désir de ressusciter devant elle un passé haï, un passé honteux; il lui semblait qu'en l'entendant seulement elle le délivrerait. Pourquoi là et non ailleurs ? Je ne sais pas. Je suis d'une race levantine, obscure, d'un mélange de sang grec et italien, ce que vous appelez un métèque. Vous ne connaissez pas ces familles de vagabonds qui essaiment partout et sont jetés sur des chemins si différents que, dans la même génération , mais en des lieux divers, certains d'entre eux vendent des tapis et des noix au miel sur les plages d'Europe, et les autres, à Londres, à New York, sont riches, instruits, et ils ne se connaissent même pas.
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Quand il rentrait chez lui au terme d'une longue journée de travail, avant de retrouver Clara, il lui arrivait d'attendre quelques instants au seuil de sa demeure. C'était la seule minute où il eût l'esprit libre. Chez lui, il trouverait la note du gaz et de l'électricité ; il compterait les vieilles dettes, il verrait les yeux de Clara, rouges et à demi fermés pour avoir trop cousu, la veille sous la lampe ; il se souviendrait que l'enfant avait besoin de souliers et lui-même d'un pardessus neuf. Il s'accordait une seconde de répit dans cette rue bruyante, en face de ce pont de fer ; il ne regardait plus ces pauvres arbres effeuillés, le brouillard de l'automne, les gens maussades et tristes qui se hâtaient ; il cessait d'avoir conscience de cette odeur de maladie et de misère dont il ne pouvait se débarrasser ; elle flottait sans cesse autour de lui et imprégnait ses vêtements. Il ne pensait à rien... Il ramassait ses forces, comme dans une bataille inégale où, si un instant encore la mort vous est épargnée et qu'on ne peut fuir, on serre dans sa main ses armes, on songe à un être chéri, et on se jette en avant, ayant compris enfin dans son coeur que l'on ne ménagerait rien, ayant accepté de perdre son âme s'il faut à ce prix gagner l'existence.
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Oui, vous tous, qui me méprisez, riches Français, heureux français, ce que je voulais, c'était votre culture, votre morale, vos vertus, tout ce qui est plus haut que moi, différent de la boue où je suis né!
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Elle fut l'une des romancières les plus en vue des années 30 puis on l'a oublié après sa mort en déportation… jusqu'à sa redécouverte il y a quelques années. Son nom ? Irène Némirovsky;
« Suite française » d'Irène Némirovsky, c'est à lire aux éditions Denoël.
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