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Critique de Milllie


Bird, 12 ans, n'a jamais vraiment compris pourquoi sa mère, la poétesse Margaret Miu, avait disparu du jour au lendemain. Elevé par son père, qui refuse obstinément d'aborder le sujet, il sent bien que leur vie a changé, que quelque chose ne tourne pas rond dans cette société gouvernée par le PACT, un traité visant à défendre la souveraineté et la culture américaine, mais n'a pas les réponses à ses nombreuses questions. Quand arrive soudain une lettre de sa mère constituée de dizaines de dessins de chats griffonnés, Bird va mener sa propre enquête pour tenter de la retrouver et ainsi apprendre les secrets du monde qui l'entoure.

Nos coeurs disparus se place clairement dans le registre dystopique mais c'est une dystopie "douce" si on peut dire, une société finalement pas si éloignée de la nôtre et où les événements décrits par l'auteure pourraient aussi se produire dans notre vie quotidienne ou notre pays (Celeste Ng rappelle d'ailleurs dans sa postface que quasi tout ce qu'elle décrit dans le roman est inspiré d'événements réels !). le roman suit une construction assez originale puisque la première partie nous est racontée par la voix de Bird, petit garçon grandi trop vite et trop seul, qui sent confusément les dangers du monde dans lequel il vit mais sans les appréhender vraiment. A travers ses yeux et son récit de sa vie quotidienne, on va donc découvrir ce que sont devenus les Etats-Unis à l'heure du PACT, ce traité qui a restauré l'ordre et la prospérité après la Grande Crise qui avait failli conduire le pays à la ruine, ce traité qui enjoint chacun à faire son devoir et à se conduire en "bon américain", c'est à dire à ne pas hésiter à dénoncer tout comportement suspect ou anti-patriotique, notamment ceux des boucs émissaires du moment, les POA, personnes d'origine asiatique, la Chine étant devenue le nouvel ennemi des USA. le procédé est plutôt réussi puisqu'on est plongé dans ce monde sans explication ni contextualisation et qu'on ne peut qu'être glacé par tout ce que le procédé implique et par une ambiance de peur diffuse qui plane sur la ville et les personnages.

Le roman semble ensuite basculer vers les contes dont il s'inspire avec la quête de Bird pour retrouver sa mère, quête semblable à ces légendes passées où le héros doit affronter épreuves et personnages malveillants avec l'aide de quelques bonnes âmes placées sur son chemin, pour triompher de l'adversité et atteindre son but. J'ai eu un peu plus de mal avec cette partie qui nous éloigne du réalisme initial pour tendre vers des scènes presque oniriques, une sorte de monde enchanté (ou plutôt souvent de royaume maléfique) vu par les yeux d'un enfant. J'ai trouvé certains passages un peu longuets et pas forcément passionnants même si la poésie omniprésente et le conte traditionnel japonais inséré dans l'histoire rattrapent un peu le côté très tiré par les cheveux de certaines parties de l'intrigue. La dernière partie du roman, racontée par la voix de Margaret, la mère de Bird, tranche à nouveau avec ce qui précède, revenant vers un réalisme brut et des faits concrets et nous donne toutes les clés pour comprendre et voir d'un oeil nouveau ce qui a abouti à ce monde.

Au final, Nos coeurs disparus est un roman très bien construit avec ces différentes parties qui s'articulent et se répondent, donnant à voir par bribes, presque comme par diffraction un pays qui nous ressemble et qui en même temps n'est (heureusement !) pas encore tout à fait le nôtre. C'est aussi un récit très littéraire où les mots et les livres sont les premières cibles d'un régime autoritaire, où les bibliothécaires sont en première ligne pour combattre les injustices, où l'art devient un combat et une manière de faire prendre conscience aux gens de ce qui les entoure et on sent à travers ces pages tout l'amour que porte Celeste Ng à la littérature et tout son talent pour faire vivre personnages et situations à travers les mots. Et pourtant, pourtant, malgré certaines scènes poignantes ou glaçantes, malgré une anticipation qui donne si souvent l'impression que ce qui est décrit va nous arriver très prochainement, c'est un livre qui ne m'a pas totalement convaincue et n'aura hélas pas été un coup de coeur. Je crois qu'il m'a manqué un peu de peps dans ce monde qui semble à la fois si lointain et si doux, une intrigue un peu plus construite ou apportant un peu plus de réponses sur cette société et peut-être quelques longueurs qui auraient pu être évitées pour redynamiser un peu l'ensemble.

Un roman à découvrir malgré tout, ne serait-ce que pour son anticipation si réaliste et pour certains passages magnifiques mais une lecture que je n'aurais finalement pas autant adorée que je l'aurais souhaité !
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