Citations sur Les fortunes du coeur (31)
Elle eut beau tenter de retrouver la tendresse qu’ils avaient partagée, elle devina qu’en esprit, il l’avait déjà quittée. L’amour physique, comprit-elle avec une clarté soudaine qui lui brisa le cœur, ne suffisait pas ; elle s’était conduite comme une idiote. Si elle ne le rendait plus heureux, elle ne s’accrocherait certes pas à lui, ne le supplierait pas ; son orgueil l’en empêcherait.
Son désir d’elle était visible, urgent, et la voir debout là, avec ses yeux verts brillant d’une passion qu’elle tentait en vain de dissimuler, avec son corps parfait qui promettait tant, suffisait à l’enflammer. Il la saisit par les épaules comme pour la secouer, mais se reprit et, la tenant à bout de bras, plongea dans son regard.
Les livres lui laissaient entrevoir tout un monde romanesque et elle était certaine d’être tombée amoureuse de lui parce que la pensée de ne jamais le revoir l’emplissait d’effroi. Et elle croyait qu’il l’aimait, puisqu’il le lui avait dit et le prouvait avec force à chaque fois. Il n’était jamais rassasié d’elle, ce qui, à son avis, en était la meilleure preuve.
Elle savait bien que les princes n’épousent pas les bergères, mais elle n’était pas sûre qu’il en fût un ; il lui manquait quelque chose que possédait Lord Chevington, le seul aristocrate qu’elle connût.
Il embrassa son corps humide jusqu’à ce qu’elle lui réponde avec une ardeur qui le surprit. Ni servante effarouchée, ni débauchée sans vergogne, elle était une amante idéale, avec juste la pointe de timidité et de retenue qui, s’il avait été plus expérimenté lui-même, l’aurait averti qu’il courait au désastre. Il se laissa submerger par sa sensualité au point d’en oublier ses disputes avec son père et son insatisfaction : Sarah Jane était à lui et il savourait son plaisir.
Elle avait un peu peur, mais, dans une existence si morne, si dénuée d’affection, que craindre sinon la déception ? Elle s’en défendrait en gardant la tête froide. Elle avança lentement et se courba pour passer sous un saule incliné vers la rive.
Personne ne lui avait dit encore qu’elle était belle, et même si elle se répétait qu’il n’en pensait rien, elle désirait croire en sa sincérité. Après tout, ne l’avait-il pas laissée s’habiller avant de bavarder ? Depuis qu’elle avait été surprise dans le lit de Thomas, personne ne l’avait embrassée, ne lui avait parlé avec affection.
Elle s’exprimait avec soin et il sourit. Jamais encore il n’avait rencontré de servante qui ne se laisse impressionner par ses attentions et soit capable de lui répondre avec intelligence ; fort peu savaient lire, en tout cas pas l’Énéide, ni se souciaient de propreté comme celle-ci. Elle était positivement étincelante : ses yeux verts pétillaient, ses cheveux étaient les plus épais, les plus roux, les plus brillants qu’il ait jamais vus.
Lui aussi avait changé, était devenu un jeune homme un peu aigri ; cet aspect de sa personnalité n’était pas décelable de prime abord, car il demeurait plein de charme et de courtoisie. S’il abandonnait tant soit peu son air indolent, on apercevait l’homme que son père souhaitait qu’il devienne. Ce qu’il lui fallait, c’était une gentille épouse pour le mettre dans le droit chemin.
L’habit ne fait pas le gentilhomme. S’il en allait ainsi, nous serions tous égaux.
Lentement, il la fit réagir, lui répondre, jusqu’à ce qu’elle frissonne et s’ouvre à lui, l’étreigne et se tende dans l’attente d’elle ne savait quoi. Quand, enfin, il la posséda, elle l’accueillit avec joie ; c’était une union naturelle, une soif mutuelle d’amour. Ils avaient chacun leurs raisons, mais à ce moment le plaisir les submergea. Personne n’avait jamais dit à Sarah Jane que c’était mal ; elle se donna parce que c’était dans sa nature généreuse.