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Critique de enjie77


« La nature efface ce qui reste d'elles. Je n'ai retrouvé que le ponton où Siemens chargeait les bateaux sur la Havel et quelques pierres du block où ma fille a été assassinée ».

Irène, personnage de fiction, expatriée française, s'est établie en Allemagne par amour pour Wilheim, à Bad Arolsen. Elle est, aujourd'hui, divorcée et mère d'un jeune homme, Hanno.

Elle travaille à l'International Tracing Service en qualité d'archiviste – enquêtrice. Ce centre de documentation, d'informations et de recherche, collecte toutes les preuves, écrites ou matérielles, sur les persécutions du national-socialisme, le travail forcé et la Shoah. L'ITS est devenu récemment « Les Archives Arolsen » et se situe dans le Hessois, à Bad Arolsen.

A la libération des camps par les forces alliées, ces dernières ont effectué un énorme travail de collecte, nécessitant une véritable course contre la montre, afin d'empêcher la destruction des preuves accablantes de la barbarie nazie. Elles ont pris d'assaut les archives des camps, fouillé les hôpitaux, réuni les listes, les cartes individuelles ou les registres cachés par les déportés afin de rassembler tous ces éléments à charge qui représentent aujourd'hui la plus grande collection d'archives au monde sur les victimes et les survivants au régime nazi. A ces documents, par la suite, sont venus s'ajouter les éléments sur le travail forcé que certaines entreprises ont accepté de divulguer.

Les objets personnels des personnes persécutées sont conservés dans ce centre et depuis 2016, la campagne « StolenMemory », tente de retrouver les familles auxquelles ces objets reviennent. C'est dans le cadre de cette démarche qu'Irène, se voit chargée, avec son équipe, de restituer ces objets. Ces effets n'ont, pour la plupart, aucune valeur marchande. Ils dégagent de leur matérialité, par delà l'invisible, une charge affective puissante qui relie le présent au passé, convoque les fantômes, matérialise le ou la disparue dans une filiation, redonne un sens à ces objets qui porte l'âme d'un être détruit dans des conditions qui sont insupportables à imaginer pour toute personne douée de raison.

C'est à la suite de l'écriture du « Dormeur éveillé » que Gaëlle Nohant a appris l'existence de ce centre (moi aussi d'ailleurs). Elle a eu l'idée d'écrire cette fiction qui relate plusieurs enquêtes d'Irène et de son équipe. Afin d'être au plus près de la réalité, elle a elle-même suivie une enquêtrice dans ses pérégrinations. Minutieuse, elle a mené les enquêtes le temps de la gestation du roman, elle a abordé ces destins brisés, s'est déplacée sur les lieux de l'abomination, elle a cherché à être au plus près du système de destruction des individus pour mieux se représenter le calvaire de tous les persécutés.
Et c'est tout l'intérêt de ce roman jusqu'au dénouement de chaque enquête. Suivre les investigations, participer aux différents modes de prospection, assister aux échanges entre les différents protagonistes des nationalités concernées, remonter à la source, au plus près de l'instant où tout à basculer, où l'horreur est entrée dans la vie de ces disparus. Tous ces destins brisés, tous ces instants où Irène prend contact avec les familles, donnent lieu à des moments d'une grande intensité émotionnelle – y compris pour le lecteur - tout en conservant à la lecture son côté passionnant et addictif : ce qui en fait une qualité essentielle pour les personnes imperméables à l'Histoire.

Gaëlle Nohant a souhaité écrire un roman contemporain pour les jeunes générations. Son style est fluide et repose sur des recherches et des qualités historiques indéniables. Elle balaie le large spectre des camps de concentration, du travail forcé, tout en restant dans un livre qui s'adresse à un large public.

Je n'avais jamais lu Gaëlle Nohant, j'avais retenu « le dormeur éveillé » qui évoque Desnos. Ce livre m'a été offert et m'a donné l'occasion d'apprécier cette fiction tout en observant deux maladresses : il est regrettable que dans un tel livre d'hommage qui se veut passeur de mémoire, Gaëlle Nohant n'ait pu s'empêcher d'éviter les clichés, cela crée une discordance dans une transmission historique de qualité – par exemple : elle divorce à la découverte du passé trouble de son beau-père Allemand - son ami Antoine est homosexuel et bien sur, ses parents le rejettent – Il est aussi dommage de se servir de ses personnages pour faire passer ses opinions politiques. Ceci étant, c'est un livre qui enseigne !

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