L'histoire commence et s'achève au cimetière du Montparnasse, sur la tombe du poète et résistant Robert Desnos, arrêté par la Gestapo un matin de Mardi gras. Interrogé rue des Saussaies, enfermé à Fresnes puis transféré au camp de Compiègne, celui que son ami André Breton surnommait le «prophète » du surréalisme, celui qui sidérait ses compagnons par ses facultés oraculaires dans les « Grands Sommeils », celui qui a donné souffle à Rrose Sélavy et au Corsaire Sanglot, prend le chemin de l'Allemagne nazie, où il sera déporté de camp en camp jusqu'à Terezín. À cette histoire se mêle celle d'un amour entre un homme et une femme de notre époque. Un amour passion qui se noue et se dénoue autour de l'auteur de "Corps et Biens". Un amour foudroyant dont le souvenir le hante encore. Pour s'en libérer, le narrateur devra parcourir en pensée le Chemin de croix de son poète fétiche.
Yann Verdo est journaliste au quotidien "Les Échos". Il a publié, en 2018, aux éditions Odile Jacob, un essai scientifique, "Le Violon d'Einstein", et un très beau roman remarqué aux éditions du Rocher en 2019 : "Noone"
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L'humour n'est possible qu'à la faveur d'une liberté d'esprit presque absolue.
"Poser sa tête sur un oreiller
Et sur cet oreiller dormir
Et dormant rêver
À des choses curieuses ou d’avenir,
Rêvant croire à ce qu’on rêve
Et rêvant garder la notion
De la vie qui passe sans trêve
Du soir à l’aube sans rémission.
Ceci est presque normal,
Ceci est presque délicieux
Mais je plains ceux
Qui dorment vite et mal,
Et, mal éveillés, rêvent en marchant.
Ainsi j’ai marché autrefois,
J’ai marché, agi en rêvant,
Prenant les rues pour les allées d’un bois.
Une place pour les rêves
Mais les rêves à leur place."
État de veille (Pour mes amis)
Quand tu m'aimes, qu'à tes étreintes
Je m'abandonne avec émoi
Pour calmer mes tourments mes craintes
Mon amour parle-moi
Il faut peupler les nuits hostiles
Avec les cris de nos émois
Il faut charmer les nuits tranquilles
Mon amour parle-moi
Si tu m'aimes il faut le dire
Il faut me prouver tes émois
Il faut me prouver ton délire
Mon amour parle-moi
Même si tu dis des mensonges
Si tu simules ton émoi
Pour que le songe se prolonge
Mon amour parle-moi.
L'oiseau du Colorado
Mange du miel et des gâteaux
Du chocolat et des mandarines
Des dragées des nougatines
Des framboises des roudoudous
De la glace et du caramel mou.
L'oiseau du Colorado
Boit du champagne et du sirop
Suc de fraise et lait d'autruche
Jus d'ananas glacé en cruche
Sang de pêche et navet
Whisky menthe et café.
L'oiseau du Colorado
Dans un grand lit fait dodo
Puis il s'envole dans les nuages
Pour regarder les images
Et jouer un bon moment
Avec la pluie et le beau temps.
Âgé de cent mille ans, j'aurais encor la force
De t'attendre, ô demain pressenti par l'espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir: Le matin est neuf, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent
Dans la nuit, il y a les étoiles et le mouvement ténébreux de la mer, des fleuves, des forêts, des villes, des herbes, des poumons de millions et millions d'êtres. Dans la nuit, il y a les merveilles du monde. Dans la nuit, il n'y a pas d'anges gardiens mais il y a le sommeil. Dans la nuit il y a toi. Dans le jour aussi.
Corps et biens, 1930
A la mystérieuse (1926)
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu'à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie.
Après moi
D’une pluie une goutte,
D’une goutte une poussière.
De poussière en poussières
Un grain de sable.
D’un grain de sable un caillou.
D’un caillou un coup de pied.
Le coup de pied d’un voyageur
Sur la route entre les montagnes.
L’empreinte du pied s’efface dans la poussière.
L’écho se perd de la chanson qu’il chantait.
Un voyageur de moins sur la terre
Toujours semblable à elle-même
Ou si peu s’en faut !
Robert Desnos a été arrêté le 22 Février 1944.
Il était un grand nombre de fois
Un homme qui aimait une femme
Il était un grand nombre de fois
Une femme qui aimait un homme
Il était un grand nombre de fois
Une femme et un homme
Qui n’aimaient pas celui et celle qui les aimaient
Il était une fois
Une seule fois peut-être
Une femme et un homme qui s’aimaient.
Robert Desnos (1900-1945)
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas, c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.
Une plaque dans l'herbe au Jardin des Poètes (Paris 75016)