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Critique de fuji


fuji
09 décembre 2017
Légende d'un dormeur éveillé de Gaëlle Nohant aux éditions Héloïse d'Ormesson
1- « Mais aujourd'hui c'est aujourd'hui
Je sens que mon commencement est proche
pareil aux blés de juin. »
Robert Desnos, né en 1900, a vécu dans le quartier populaire des halles, y gravitent des artisans, des commerçants, une faune de nuit qui éveille l'enfant puis l'adolescent, à la diversité des hommes.
Son père le voyait bien épouser une carrière commerciale, auquel le fils opposa un non catégorique car il voulait être poète. A l'école il s'est beaucoup ennuyé, sa vie devait être différente.
«  Tu t'entends bien avec ton père ? interroge Alejo
 Ça a été compliqué, longtemps…, sourit Robert. Quelle colère il a piquée quand je lui ai annoncé que je m'arrêtais au certificat d'études ! Je voulais être poète, je n'en démordais pas. Il m'a jeté : C'est tout ce que tu as trouvé ? Dans ce cas tu te débrouilleras tout seul ! C'était un marché rude, mais honnête. »
Son intérêt pour l'autre, se voit immédiatement dans ce roman, d'une part lorsqu'il ramène de son voyage à Cuba, Alejo Carpentier tout juste sorti des geôles cubaines pour raison politique. Puis August, l'enfant noir venu de Louisiane, qui a maille à partir avec un chef de gare. Et aussi Antonin Artaud, dont il aime « la hauteur dégingandée, ce visage de dieu grec où brûlent des yeux de prophète libertaire. Il devine que son charisme découle d'un déchirement de l'être ; ce point d'insoutenable sur lequel il se tient, bravant la terreur qu'il lui inspire. » Robert Desnos fait partie de ceux qui ont aidé Antonin Artaud à se mettre au vert à Rodez, il ne l'a jamais laissé tomber.
S'il appartient au groupe des Surréalistes, il s'en distingue pour ces raisons, qui font que les idées ne vaudront jamais plus que l'humain.
Gaëlle Nohant dans cette première partie montre bien en quoi Robert Desnos, ne pouvait adhérer à l'autoritarisme de la figure de proue du surréalisme, André Breton, qui n'admettait pas que l'on n'exécute pas sa devise : « La révélation du sens de sa propre vie ne s'obtient pas au prix du travail. [...] Rien ne sert d'être vivant, s'il faut qu'on travaille. »
L'auteur a l'art indéniable de peindre les petites gens comme les figures artistiques.
Pour ses amours Robert Desnos se partage entre Yvonne George « Oh si, j'ai souvent couché avec elle. En rêve… Au point que j'ai souhaité ne plus m'éveiller. » et Youki Foujita « Je suis allée si loin dans l'amour que j'ai pensé ne jamais en revenir. J'ai affronté ses grimaces. Aujourd'hui j'en connais aussi le sourire. Je ne vais pas m'en plaindre ni m'en excuser. »
Une première partie foisonnante de personnages hauts en couleur, entre amitiés, amours, liberté, alcools et drogues, chacun trace son sillon en navigant du premier Manifeste qui définissait le Surréalisme comme « un groupe de rêveurs lucides » jusqu'au naufrage de la purge instaurait dans le second manifeste, le tout sur fond de musique de Jazz.
2- « Et voici, Père Hugo, ton nom sur les murailles !
Tu peux te retourner au fond du Panthéon
Pour savoir qui a fait cela. Qui l'a fait ? On !
On c'est Hitler, on c'est Goebbels… C'est la racaille, »
La deuxième partie amorce la rupture venue des USA, la crise du jeudi noir qui va s'attaquait à l'automne 1930 à toutes les couches de la société. L'iceberg en est la multiplication des soupes populaires. Pour notre poète c'est courir après le moindre boulot : « même s'il est robuste, combien de temps pourra-t-il tenir cette vie dure, privée du confort le plus élémentaire, avec pour seuls luxes la musique qu'il écoute des nuits entières et ses longues promenades dans Paris qui ne fait pas la fière… »
Lorsque le travail se retrouve (une superproduction radiophonique de Fantômas) il s'associe naturellement avec Kurt Weil, juif sympathisant communiste, musicien dont les nazis viennent de brûler les oeuvres et qui ne peut plus rentrer en Allemagne. Il retrouve son ami Antonin Artaud à qui il demande de prêter sa voix et son rire démoniaque à ce « Génie du crime ».
Plus encore, à cette période, Robert Desnos est un homme en action, sa devise : « Ne plus être soi, être chacun ».
A la radio, il se lance le défi de « cultiver l'auditeur en l'amusant » et cela quotidiennement. En ces temps troublés, il ressent au plus profond de son être, la voix de la révolte et de la fraternité.
Ses amis sont emprisonnés, s'exilent, ou se suicident. L'horreur est omniprésente.
La conscience toujours en éveille, avec ses amis de la première heure, Alejo Carpentier, Prévert, Jeanson il fait de nouvelles rencontres, Jean-Louis Barrault, Pablo Neruda, Federico Garcia Lorca. Nous sommes en 1936, en Espagne, il mesure le silence des tragédies muettes. de retour en France, le Front populaire est un élan qui épouse ses convictions profondes. En septembre l'assassinat de Federico Garcia Lorca soude Neruda et Desnos dans la même émotion d'une conscience éveillée.
Début 1937, lorsqu'il rend un hommage public au poète assassiné, Desnos voit Aragon revenir, enfin débarrassé du joug d'André Breton.
Les invectives fusent de la part des nationalistes à son encontre, impossible d'être dans une brasserie sans que cela dégénère : « Dites-moi, Desnos, pensez-vous que nous allons continuer à tolérer le ramassis de métèques qui profite de notre laxisme pour engraisser sur notre dos et baiser nos femmes ? Ou nous laisser gouverner par un Juif et sa clique de Maçons ? Nous abritons trois millions de parasites, ce pays est le dépotoir de l'Europe. Mais le temps de vos amis est compté, tic tac tic tac… le vôtre aussi d'ailleurs, car avec ce physique, vous aurez du mal à vous faire oublier quand nous lancerons le grand nettoyage. »
Franco en Espagne, Hitler en Allemagne, « Robert sent le grondement de l'orage à ses temps et ferme les yeux. La guerre. Il la devine dans ce murmure qui enfle et obscurcit les rêves des auditeurs, ce souffle qui éteint les bougies et les souhaits. Elle prend la forme de cette marée noire qui va les emporter, de ces rats qui grouillent sur les branches de l'arbre, de ces fosses vertigineuses où ils glissent sans trouver d'appui, des cimetières qui se multiplient le long de leur promenade. »
3- « Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d'ordre :
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
Pourtant ce coeur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères »
En 1940, aux côtés de Jeanson dans le journal Aujourd'hui, Robert Desnos agit.
Il commet des critiques acerbes du gouvernement de Vichy. Lorsque Jeanson est écarté du journal, il somme Desnos de continuer. Avec Interlignes, chroniques littéraires il s'engage à faire que ses lecteurs pensent par eux-mêmes.
C'est aussi le temps des rutabagas et du froid à l'extérieur mais aussi à l'intérieur, des gens disparaissent.
29 mars 1942 apparition de l'étoile jaune qui va trahir et désigner les victimes des prochaines rafles, là non plus, il ne peut rester immobile. Des faux papiers, il doit fabriquer.
Ses nuits, il les passe à noircir le papier, poèmes, livres pour enfants, roman sur l'addiction surtout lorsque son coeur est lourd de l'absence de Youki.
Juillet 1942 : rafle du Vel d'Hiv…
Malgré des menaces de plus en plus précises Robert Desnos, écrit et oeuvre à la justice mais ses batailles doivent prendre l'ombre.
Dans tout ce tumulte il prendra le temps de venir en aide à Antonin Artaud après l'appel au secours lancé par sa mère Euphrasie. Il est comme cela, présent physiquement, il va aller à l'hôpital où est enfermé son ami et où comme des milliers d'autres êtres égarés il subit la faim et mille autres misères.
Avec l'aide du docteur Ferdière il réussira le transfert à Rodez de l'ami Antonin.
Les jours, les nuits, les mois passent, un nom circule Auschwitz, il souffle l'inimaginable, l'indicible.
C'est le chaos…
Il sera arrêté le 22 février 1944, il ne fuit pas.
4 « Même si tu dis des mensonges
si tu simules ton émoi
Pour que le songe se prolonge
Mon amour parle-moi. »
Youpi « Neige rose », la femme volage, insouciante et gâtée, est anéantie.
Pour elle commence la quête, désespérante et incessante pour sauver son homme.
« Cette ville regorge de prisons, de réduits humides, de forteresses profondes où l'on peut faire disparaître quelqu'un du jour au lendemain, effacer ses traces. le silence est une arme psychologique, une torture raffinée dont se délectent les bourreaux et les fonctionnaires, regardant s'allonger ces files de gens qui crèvent de ne rien savoir. »
« Je revisite notre passé. Partout, je vois des indices de ta vie clandestine. »
Des mois de lutte, d'espoirs, de désillusions, d'espoirs à nouveau … Robert Desnos 4 juillet 1900-8 juin 1945.
Ma lecture a été une longue marche dans les pas (tel son ombre) et non sur les traces de Robert Desnos. J'ai arpenté « Paris est une fête », j'ai aimé, souffert ; je me suis révoltée contre l'ennemi.
Le livre de Gaëlle Nohant est un monument d'érudition érigé à l'homme et à son art qui sont indissociables.
Et, oh merveille ! j'ai fait des pauses, telle une ombre posée sur un banc, pour relire ses poèmes au rythme de ce quatuor narratif. Ses vers dansent, chantent, s'engagent, griffent, cisaillent, coulent d'humanité toujours.
Comment ne pas penser à certaines similitudes avec notre époque, mais je reste persuadée, le coeur crevé, que cette flamboyance n'existe plus et que notre monde est bien terne.
J'entends Jean Ferrat chanter :
« Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne »
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 9 décembre 2017.


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