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Critique de HordeDuContrevent


Prenez garde à ce que vous acceptez lorsque vous êtes totalement ivre…

Nous voilà de nouveau debout devant les portes de la Maison des jeux. Pas celle de Venise que nous avions quitté au tome 1, non. La Maison des jeux d'une autre ville, à une autre époque. Pourtant ce sont les mêmes portes d'argent derrière lesquelles, à l'intérieur, les murs, épais, étouffent les bruits extérieurs de la ville et la lumière tamisée éloigne l'idée que nous pouvons nous faire d'un vulgaire tripot. Nous tombons également immédiatement sur les joueurs de la Basse Loge qui se défient pour de l'or, du temps, des faveurs et des secrets. Gare à celles et ceux qui vont trop parier, trop perdre, ils deviendront alors des pièces. Oui, des pièces des différents jeux qui se jouent à la Haute Loge, séparée de la première par une double porte d'argent sur les panneaux desquelles rugissent des lions. Ici se trouvent les vrais joueurs, « hommes et femmes qui savent que le monde est un plateau », de rares élus. Nous allons assister de nouveau à une partie entre deux membres de la Haute Loge où tout peut être misé, vraiment tout… « Enjeux de vie et de sang, de vue et d'âme », l'amour d'une femme, le gout pour les fraises, une maladie, la mémoire…

La jeune britannique Claire North a troqué la mystérieuse et brumeuse Venise pour l'exotique et chaude Bangkok, l'année 1610 pour l'année 1938, le jeu d'échec pour une partie de cache-cache. Une simple partie de cache-cache me diriez-vous, beaucoup moins ambitieuse et passionnante que le roi des jeux…pas si simple que ça en réalité, une partie de cache-cache effrénée que Rémy Burke a accepté une nuit, complètement ivre, le défi ayant été lancé par un certain Abhik Lee, joueur réputé et redouté. le plateau du jeu : la Thaïlande toute entière. Celui qui cherche l'autre le plus longtemps a gagné. Les gains mis en jeu sont énormes : Si Rémy Burke gagne, il gagne 20 ans de vie et si Abhik Lee gagne il vole tous les souvenirs de Rémy qui deviendrait alors totalement amnésique.
Il va s'avérer que la partie est inégale, notamment en termes de pièces maitresse mises à la disposition de chacun des joueurs, alors que les enjeux sont énormes, à se demander d'ailleurs si la Maison des jeux gagnerait quelque chose à la défaite de Rémy Burke…Rémy va s'avérer être le plus faible a priori des deux, handicapé par le fait d'être un Anglo-français d'un mètre quatre-vingt donc repérable immédiatement dans ce pays, et la partie va lui être très éprouvante. Dans l'épreuve il va ainsi être capable de choses incroyables, transformant son errance en pèlerinage, apprenant beaucoup sur lui, ce qui donne au récit un chemin étonnamment philosophique.

« Comment pouvez-vous être en pèlerinage si vous n'êtes pas un saint homme ? – Selon moi, les pèlerinages ont pour but de rendre les hommes saint ».

Cette partie de cache-cache sur tout le territoire de la Thaïlande est l'occasion pour l'auteure de déployer ses talents de conteuse et de nous offrir des peintures magnifiques. le dépaysement est total, la poésie des descriptions envoutante. La Venise avait été mise à l'honneur dans le tome 1, ses ruelles embrumées, ses effluves de marais, ses canaux mystérieux avaient été l'échiquier du jeu…Ici nous côtoyons la flamboyance des villes, mélanges cosmopolites de cabanes en bois fragiles, de longues barques vermoulues, de grandes ambassades et de manoirs européens, d'antiques temples, de sanctuaires bouddhistes, avec la nature luxuriante de la campagne siamoise remplie de rochers et de palmiers aux feuilles tombantes dont les couleurs se font plus vives à la saison des pluies. Lieux urbains et lieux sauvages où trouver des cachettes mais où laisser des traces aussi. Nous palpitons avec Rémy, souffrons avec lui, avons peur pour lui…d'autant plus qu'il rencontre de multiples personnages dont nous ne savons jamais s'il faut se méfier ou pas, des personnages pour certains inoubliables que Clara North décrit avec humanité.

« Un vieillard approche. Presque aussi mince et fibreux que le bâton sur lequel il s'appuie, la peau comme de l'écorce, les cheveux comme des toiles d'araignée ».

De nouveau le narrateur - qui est-il d'ailleurs ? - nous interpelle, nous prend à témoin, nous rendant plus observateur que lecteur, nous plongeant dans le décor, nous mettant même parfois dans la connivence, complice de ce qui se noue au sein même du récit.

« Jetterons-nous un coup d'oeil en douce ? Oh, très bien, allons-y. Regardons les cartes de la main d'Abhik. Ouvrant délicatement la poche de sa veste tandis que d'autres tâches l'occupent, nous y glissons les doigts pour saisir l'étui à cigarettes en argent où il les a si discrètement rangées, et que nous sortons pour en feuilleter le contenu. Mon dieu…mon dieu, mon dieu ! Quelle main lui a été distribuée ! ».

Ce tome 2 nous fait également mordre dans une tranche d'histoire, celle de ce territoire convoité par différents empires coloniaux, comme coincé entre les mâchoires des requins que sont l'Angleterre, la France et le Japon. C'est ainsi une ville cosmopolite, colorée, bigarrée, où plusieurs mondes entrent en collision, mondes occidentaux et orientaux.

Le voleur parvient donc à magnifier cette partie de cache-cache qui pouvait sembler à priori moins intéressante que la partie d'échec du tome 1. Il n'en n'est rien tant l'auteure sait rendre son récit haletant. Haletant par la fuite incessante et éprouvante de Rémy. Haletant par la complexité que nous entrevoyons derrière le défi lancé. Haletant quant aux personnages rencontrés et aux faits historiques entrelacés avec subtilité dans le récit. de plus, elle parvient à nous dépayser totalement et à nous faire voyager à travers toute la Thaïlande. Je ne suis pas loin du 5 étoiles, il me reste à découvrir le tome 3 pour savoir si cette trilogie est pour moi un véritable coup de coeur dans toute sa globalité. A noter la superbe couverture d'Aurélien Ponce et la traduction excellente de Michel Pagel. Que de belles pépites dans cette collection des éditions du Belial' !
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