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Critique de Arakasi


Au milieu du XIXe siècle avec la montée du mouvement abolitionniste et les tensions croissantes entre le Nord et le Sud des Etats-Unis, les témoignages d'anciens esclaves commencent à se multiplier. Lus avec passion dans le Nord, ils sont bien entendu violemment décriés dans le Sud, souvent taxés d'exagération, parfois même de mensonge éhonté. le témoignage de Solomon Northup ne fit pas exception. Déjà, il était trop bien écrit. Non, mon bon monsieur, un nègre ça ne sait pas se servir du subjonctif et encore moins citer Shakespeare ! Et quand on critique la forme, on ne tarde pas à critiquer le fond : l'esclavage n'était peut-être pas une sinécure, mais c'était loin d'être une barbarie et s'il fallait parfois fouetter un esclave pour son propre bien, gageons qu'il l'avait bien cherché. Enfin, vous voyez le tableau… Pourtant, le récit de Northup s'appuie sur des preuves solides et s'il ne l'a peut-être pas écrit seul – il ne serait pas le premier à se faire aider par un journaliste ou un écrivain de renom – ma foi, est-ce si important puisqu'il l'a bien vécu ?

Noir libre résidant à New York, Solomon Northup est arraché à sa famille pour être réduit en esclavage. Il restera sous les fers pendant douze ans, changeant à plusieurs reprises de propriétaire, d'abord sous la houlette « bienveillante » de Mr William Ford pour finir sous le joug du tyrannique de Edwin Epp. Libéré presque miraculeusement, il parviendra enfin à retrouver les siens devenant un des rares cas de remise en liberté de l'avant-guerre de sécession. le parcours de Solomon est donc exceptionnel, mais il n'est pas moins représentatif de celui de milliers d'autres esclaves au statut plus légal que le sien. Son témoignage nous touche peut-être davantage car nous pouvons plus facilement nous identifier à lui, noir cultivé et mélomane, qu'à ses pareils nés et élevés dans l'esclavage. Il a le mérite de présenter les ravages de « l'institution particulière » sans pathétisme de mauvais goût, ni manichéisme.

A vrai dire, la tolérance de Solomon devant certains actes de ses propriétaires m'a même un peu surprise. Avec quel aisance pardonne-t-il au « bon maître » Ford de séparer une famille d'esclaves ou de le vendre lui-même pour éponger ses dettes ! Peut-être faut-il y voir un reflet de moralité chrétienne : en pardonnant à ses ennemis et en leur prêtant de bonnes attentions, Solomon se pose lui-même en bon chrétien. Il évite également de prêter le dos aux accusations de manichéisme, ne condamnant pas les maîtres dans leur ensemble, mais l'institution elle-même, mauvaise par nature puisqu'elle pousse les meilleurs hommes du monde à commettre les actes les plus immoraux. A noter que le film de Steve McQueen, réalisé en 2013 et libéré de la nécessité de se protéger de la critique d'extrême-droite, dresse un portrait plus ambigu du bon Mr Ford. Elle a souvent bon dos, la moralité chrétienne, et les maîtres les plus vertueux n'en étaient pas moins des esclavagistes !

Le tout, et malgré cette petite réserve, donne un ouvrage tout à fait digne d'intérêt, nécessaire pour qui s'intéresse un tant soit peu à cette période de l'Histoire des Etats-Unis.
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