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Critique de Antyryia



"Il y a des gens qui pensent ne pas être des mystiques. lls se trompent. Il suffit d'avoir crevé de soif un moment pour accéder à ce statut. Et l'instant ineffable où l'assoiffé porte à ses lèvres un gobelet d'eau c'est Dieu."

Voilà une vision du tout-puissant extrêmement intéressante. le comparer à cet instant quasi magique où vous buvez une première gorgée alors que vous étiez tenaillé par la déshydratation.
J'en profite pour rappeler aux personnes, âgées ou non, de beaucoup boire durant les périodes de canicule. Sinon vous pourriez retrouver Dieu plus tôt que prévu.

Dans le même ordre d'idée, songez à ces moments où vous rentrez chez vous en vous tortillant, tellement vous avez un besoin pressant. Vous vous retenez parce que vous êtes bien obligé, vous ouvrez la porte et vous vous précipitez aux toilettes tout en débouclant votre ceinture pour gagner deux précieuses secondes. Eh bien ce moment de pure grâce, de béatitude absolue où vos intestins peuvent enfin se délester de leur surcharge, ce moment qui précède d'une nanoseconde le premier "plouf !" dans la cuvette, c'est aussi Dieu.
Ce nouveau roman d'Amélie Nothomb aurait aussi pu s'appeler Diarrhée, mais c'était moins vendeur.

Bon, dire que j'ai été déçu par Soif relèverait de l'euphémisme.
Comme pour tant d'autres lecteurs, le nouveau Amélie Nothomb c'est un peu la mise en bouche de la rentrée littéraire : un moment ludique assuré, une histoire courte et originale, une écriture unique et plaisante.
Pour l'histoire originale, il faudra repasser. Retracer le dernier jour du Christ et son chemin de croix n'a rien de bien inédit, et en plus Amélie Nothomb nous fait profiter de poncifs affligeants entre deux réflexions métaphysiques totalement incompréhensibles.

J'avoue que mon allergie à Dieu et à tout ce qui touche aux religions ne m'a pas aidé à aborder sereinement cette lecture et que j'avais un à priori négatif dès que j'ai réalisé qu'il allait être question de la passion du Christ.
J'aurais du éprouver de la compassion pour cet homme condamné à mort suite à un jugement bâclé, dont la souffrance a réellement du être inimaginable dès la montée du Golgotha.
Jésus après tout a réellement existé et si je ne me suis jamais intéressé à son histoire de très près ( et ça ne risque pas d'être le cas de sitôt ), il était un guérisseur, un orateur qui déplaçait les foules, les haranguait, prêchait la bonne parole et son influence grandissante avait fini par agacer les Romains.
Ces faits historiques auraient pu m'intéresser.
Mais ce Jésus là qui ne se considère pas comme le fils de Joseph mais comme celui de Dieu, né de la vierge Marie et fruit d'une immaculée conception, m'a agacé au possible.
Son omniscience, lui qui sait déjà ce qui sera écrit plus tard dans les Evangiles, qui parle du futur quotient intellectuel ou de la discrimination positive, qui connaît déjà les conséquences de son sacrifice et qui nous parle de Marcel Proust … Comment y croire un seul instant ?
"On va me remercier pour ça. On va m'admirer pour ça. On va croire en moi pour ça."

Au nom du Christianisme ont été établies plusieurs religions, et si aucune d'entre elles n'a provoqué l'effondrement de deux tours à New York en 2001, c'est en son nom que d'autres joyeusetés ont été commises : Des croisades meurtrières, le massacre de la Saint Barthelemy. Aux noms de Dieu et du Christ ont été établies des croyances aujourd'hui archaïques et révoltantes, une église catholique qui est la première à commettre des péchés de chair monstrueux et à les dissimuler.
Je m'égare mais mon aversion pour toutes les religions qui ont été détournées des valeurs qu'elles pouvaient défendre ou inculquer à des fins personnelles explique en grande partie mon désintérêt pour cette montée du Calvaire écrite de façon prétentieuse à une sauce nothombienne qui ne s'y accordait pas du tout selon moi.
Seule une réflexion sur l'importance des rites funéraires, quels qu'ils soient, a fait écho en moi.
Bien involontairement, Jésus n'a pas racheté nos péchés. Il les a multipliés. S'il était si omniscient qu'Amélie veut bien nous le dire, il aurait vu aussi quelles barbaries il allait engendrer au nom de Rien.
Mais de ces conséquences, jamais il ne sera question.
Tout ça pour dire que ma déception n'est pas forcément très objective, mais pour autant elle a été bien réelle.

Le roman commençait pourtant bien, avec beaucoup d'humour malgré le jugement de Pilate qui allait s'abattre tel un couperet. En effet, les témoins à charge sont tous ceux dont Jésus a fait bénéficié de ses miracles. Ainsi, les mariés des noces de Cana se plaignent d'avoir du servir à leurs invités le moins bon alcool d'abord alors que Jésus avait sauvé leur fête en transformant en vin leur eau. Lazare regrette de sentir le cadavre à plein nez après sa résurrection, l'aveugle aurait souhaité ne jamais pouvoir distinguer un monde aussi affreux, la mère à l'enfant enfin guéri reproche quant à elle d'avoir désormais un enfant turbulent à gérer.
Autant d'hypocrites lâches qui démontrent que déjà à l'époque les gens n'étaient jamais contents.
"La complaisance avec laquelle chacun a parlé contre moi m'a stupéfié."
"Accomplir des miracles, ce n'était plus offrir une grâce, c'était accomplir mon devoir."

Mais tout de suite après, dès la mise en geôle de Jésus, ça se gâte.
Raconter les dernières heures de Jésus d'un point de vue historique en respectant le déroulement des faits tels qu'ils nous ont été transmis, c'est bien, mais ça a déjà été fait en mieux et je préfère encore revoir La passion du Christ, le film tant décrié de Mel Gibson dans lequel aucune des souffrances et des lacérations du messie n'était épargnée au spectateur.
Dans le livre, son sort n'est de toute façon pas plus enviable, et il n'est exempté ni de couronne d'épines, ni de coups de fouet, ni de paumes clouées sur la croix qui le maintiendra suspendu le temps de sa lente agonie.
Ce que je vais dire est sans doute encore maladroit mais la montée du Golgotha au milieu de la foule m'a rappelé un coureur du tour de France épuisé par l'effort dans la montée de l'Alpe d'Huez acclamé par une foule en délire, dangereuse et inconsciente, comme si porter soi-même une croix pour s'y faire crucifier était un sport de haut niveau. Mais bon, les Romains avaient des goûts assez spéciaux en terme de loisirs, et les gladiateurs ne me contrediront pas. Dire que certains pays sont encore coincés aujourd'hui dans cette faille temporelle ...

Mais aussi blasphématoires que puissent être mes propos, je pense qu'ils n'égalent pas ceux d'Amélie Nothomb, qui a l'outrecuidance de parler et de penser à la place de notre sauveur Jésus Christ, dont elle se fait le narrateur.
Et cette narration a eu le don de me hérisser le poil.
Parce qu'il n'y a aucune logique, aucune continuité dans ces pensées et dans ces réflexions tantôt humaines, tantôt divines.
Je ne saisis pas ce qu'elle a voulu faire. Pourquoi par exemple glisser des mots en araméen ( du moins, je l'imagine ) dans son texte sans note à laquelle le lecteur puisse se référer.
Se mettre dans la peau de ce Jésus a provoqué une forte irritation par une distorsion entre ce qu'on sait de lui ( de façon historique ou biblique ), une partie totalement inventée mais qui reste cohérente avec ce que le Christ aurait pu penser, et une partie totalement fantasmée par l'imaginaire de Nothomb qui vient elle-même détruire toute crédibilité à "son" personnage ... qui ne lui appartient pourtant pas.
Alors oui, Jésus tendait l'autre joue quand il était frappé, et on ne peut donc pas s'étonner de lire de profondes pensées sur "tout le monde est beau, tout le monde est gentil".
"L'amour qui me consume affirme que chacun est irremplaçable."
Jésus se montre ici plus souvent humain que divin, il souffre, il éprouve de la colère, de l'orgueil, de la naïveté. Il se pose des questions existentielles sur l'incarnation de l'homme par opposition à l'immatérialité de son père.
Le tout pendant son martyre.
Faut bien s'occuper.
"Mon père a créé une drôle d'espèce : soit des salauds qui ont des opinions, soit des âmes généreuses qui ne pensent pas."

Le ton du roman se cherche sans jamais parvenir à se définir.
Je suis bien content d'en savoir plus sur les apôtres, en particulier sur les rots de Pierre et le mauvais caractère de Judas. de savoir qu'une nuit de sommeil auprès de Marie-Madeleine est un voyage dont on s'éveille sur de lointains rivages, que Jésus avait des amis et qu'il aimait étancher sa soif, et que le bon Dieu n'a pas pensé à tout quand il a conçu l'homme puis la femme ( "Il y a un vice de forme dans la création." ).
Mais quelle est la finalité de tout ça ?
De ces longues réflexions pseudo-philosophiques parfois absurdes, et souvent complexes à moins d'une déficience intellectuelle de ma part qui n'est pas à exclure ?
Après, contrairement à Amélie Nothomb, je n'ai ni la prétention ni la capacité de me mettre dans la tête du Nazaréen, et même en me laissant guider jamais la Belge n'aura su me convaincre.

Mais je ne peux qu'encourager chacun à se faire sa propre opinion. Comme je l'ai précisé, ce n'était pas du tout un livre fait pour moi et son thème m'a rebuté d'emblée, ce qui ne sera peut-être pas votre cas.
Et puis vous vous demandez sûrement si elle a réussi à placer le mot "pneu" ou à évoquer le champagne dans ce péplum avant-gardiste.
Je pense en tout cas qu'il s'agira probablement du roman d'Amélie Nothomb qui divisera le plus les lecteurs.

"Jésus portant sa croix dans le Golgotha, aurait souhaité avoir un diable pour l'aider." ( José Arthur )

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