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Critique de Tandarica


C'est un roman de 1991, Ana Novac avait 62 ans. Lorsque je dis « roman », c'est plutôt une façon de parler et la romancière indique assez clairement en quatrième de couverture le caractère autobiographique de l'entreprise. Adorno a écrit que la poésie était impossible après Auschwitz, le « néant littéraire » en quelque sorte. Ce néant ressemble pour moi aux écrits d'Ana Novac. le langage est cru, voire par moments vulgaire (et encore, je me demande si la traduction de Luba Jurgenson n'a pas édulcoré un peu de temps en temps), à l'image du désespoir proche de la folie, de son propre aveu, qui la caractérise. Pour revenir sur sa biographie : à 14 ans, Ana Novac, juive et magyare roumaine de Transylvanie, a été internée à Auschwitz et elle fut la seule de sa famille à y survivre, en tenant en plus un journal publié pour la première fois en France en 1968. Elle raconte dans ce récit sa relation avec une de ses amies du camp, qui l'est restée après. Sa vie aussi est restée, toujours d'un désespoir loufoque : elle tombe amoureuse de son professeur de philosophie à l'université, son amie fait un enfant avec lui et divorce. Il se marie avec elle, lui faisant endurer tout le reste de leur existence son indifférence tranchante. Elle fait régulièrement des tentatives de suicide et finit par la bonne, en Israël. Il l'a précédée, mort d'un cancer du larynx. La description des états d'âme par lesquels passent les personnages est précise, efficace, aussi crue que le langage. le psychiatre averti y reconnaîtrait sans doute une demi-douzaine de symptômes au bas mot : il faut dire qu'entrer à quatorze ans à Auschwitz et en sortir sans famille, malade et avec un journal est en soi une source écrasante de stress post traumatique. le résultat reste d'un drôlerie miraculeuse, étrange, inquiétant : on se demande ce qui peut bien pousser le trio à rester plus ou moins ensemble, ou à se retrouver. Mais on ne sort que difficilement des camps, même si Ana Novac a fini par rompre, malgré l'attachement vital qu'elle vouait à son amie, qui lui a permis de rire, d'en rire, de cela et de tout, et son combat continue : en racontant sa vie d'après, qui est à la hauteur de celle d'avant, elle rompt également d'un point de vue littéraire, elle qu'on a souvent réduit à son journal. D'un point de vue philosophique, il en résulte un profond nihilisme, et les idéaux, dont le communisme du professeur de philosophie, celui qu'Ana Novac appelle son « amour », en ressortent profondément ridiculisés.
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