...ce sont les actes qui donnent naissance aux rêves et non l'inverse.
Kristin Ross
L'idée selon laquelle il faudrait à chaque fois faire rupture et se méfier de toute forme d'institutionnalisation s'institutionnalise.
...les slogans de Mai 68...montrent qu'on ne peut échapper à la référence aux normes, fût-ce dans un rapport de rejet :
"Il n'y a pas de règles" peut être considéré comme une règle ;
"Il est interdit d'interdire" peut s'appliquer à son énonciateur...
Les barricades mettent en scène une désobéissance.
Seulement, lorsqu'elles annoncent le passage à un autre régime, elles apparaissent rétrospectivement comme légitimes.
Le temps des barricades est peut-être le complice intime de l'histoire des vaincus.
On fait littéralement une barricade avec ce qu'on a sous la main ; et ce qu'on a sous la main est ce qui leur est toujours contemporain.
Sur cette place Taksim, il est venu sans se presser, sans compter les pas. Mais avec certitude, il savait qu'il y attendrait quelque chose, qu'à lui seul, il ferait barrage, contre toute la violence de son pays.
Sans bouger, il resta 6 heures debout et il était puissant.
Sortir d'une barricade, on ne sait plus ce qu'on y a vu [...] On regarde quelque chose de rouge qu'on a dans les ongles. On ne se souvient plus ...
(Victor Hugo - "Les misérables")
Faire de sa misère une barricade ...
("Le trognon et l'omnibus" - David Charles)
Qui aujourd'hui discuterait de la légitimité d'un Gavroche qui paraît aussi bien que Marianne représenter la France ?
Pourtant la figure de Gavroche, à l'époque où Victor Hugo l'imagine, se rapproche de celle du "casseur" contemporain que certains acharnés du modèle républicain vont soit critiquer, soit rejeter hors du politique ...