Et voilà, une fois de plus la magie O'Connor a opéré, presque jusqu'au bout (vous connaîtrez les raisons du "presque" à la fin de ce billet), avec ce roman qui traînait depuis des lustres dans ma PAL, je me demande bien pourquoi d'ailleurs, l'auteur irlandais ne m'ayant jamais déçu.
Peut-être la quatrième de couverture m'avait-elle rendue méfiante... cette allusion à Tristan et Iseut, sans doute, associée au fait que je ne suis pas une grande sentimentale...
D'amour il est bien question, mais l'amour avec O'Connor, est une couleur parmi d'autres de la palette riche en tonalités avec laquelle il élabore son intrigue, de clairs-obscurs en fulgurances.
Ellen et Milton Amery, bientôt la cinquantaine, vivent avec leurs deux grands enfants dans le confort de l'appartement new-yorkais que les honoraires exorbitants de chirurgien esthétique de Milton leur ont permis d'acquérir. Ellen, professeur de lettres, prompte à épouser les causes perdues, est aussi secrète et complexe que son mari est pragmatique et sûr de lui. Enfant illégitime dans l'Irlande puritaine des années 60, elle fût dès sa naissance adoptée par un couple d'américains. Elle n'en a pas moins gardé pour son pays d'origine, qu'elle retrouve lors d'escapades soudaines et solitaires, un attachement passionnel et romantique, entre autres alimenté par la correspondance entretenue avec sa mère biologique, qui a toujours cependant conservé son anonymat.
En cette veille de Noël 1994, Ellen, atteinte d'un cancer incurable, sait qu'il lui reste au maximum un an à vivre. Elle part une dernière fois en Irlande, sans, comme à son habitude, prévenir personne, avec pour but ultime
Inishowen, cette péninsule située à l'extrême nord de l'Irlande, où elle espère retrouver la trace de sa génitrice.
Martin Aitken est policier à Dublin. La mort de son fils, sept ans auparavant, l'a dévasté, et l'a mené à la faute : cet ancien agent des forces spéciales s'est vu retirer le droit de porter une arme, et a été rétrogradé au poste de policier, qu'il exerce à Dublin. Son mariage n'a pas non plus résisté au drame.
Il a tenté, sans succès, de noyer ses échecs et ses démons dans l'alcool. Sa sobriété reconquise ne le protège ni de l'amertume, ni de la colère, dont ses supérieurs font régulièrement les frais, Martin étant aussi un homme entier qui n'a pas la langue dans sa poche.
Le récit alterne entre ces trois personnages.
A New York, Milton prépare les fêtes, sauve les apparences face à ses enfants maussades et querelleurs, invite ses parents pour le réveillon, rassure son entourage... Lui, l'éternel gagnant, l'homme à qui tout réussit, qui maîtrise -ou du moins pense maîtriser- chaque pan de sa vie (l'officielle comme la double, celle qu'il mène en papillonnant d'une maîtresse jeune et splendide à l'autre), ressent malgré tout un certain malaise face à la disparition de sa femme, dont il comprend de moins en moins le silence.
De l'autre côté de l'Atlantique, Martin rencontre Ellen, deux âmes fêlées qui se reconnaissent et s'accrochent, s'embarquent dans un road-movie douloureux mais nécessaire, en quête de réconciliation avec eux-mêmes, direction
Inishowen...
Je ne connais personnellement pas l'Irlande, mais j'aime supposer qu'elle est fidèle à l'image, riche en contradictions, qu'en donne Joseph O'Connor : à la fois tragique et drôle, oscillant entre gouaille et violence, mêlant la mort à la poésie, le rire aux éloges funèbres... Et ce roman à la construction impeccable, ses héros meurtris et terriblement attachants, exprime cette richesse avec sensibilité, clairvoyance et humour.
Je dois cependant exprimer un bémol, lié à la dernière partie du roman, qui verse à mon avis dans le burlesque avec un excès qui vient contredire la justesse de l'ensemble.
Dommage, je suis passée près du coup de coeur !
Lien :
http://bookin-ingannmic.blog..