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Critique de Nastasia-B


Les braves gens ne courent pas les rues, c'est vrai, mais les bons livres non plus. Eh bien, croyez-moi si vous voulez, mais d'après moi, Flannery O' Connor a signé l'un de ceux-là, indubitablement. Flannery O'Connor, c'est d'abord un style, une façon bien à elle de dépeindre ses personnages, de les ficher dans des lieux qu'on imagine sans peine et qu'on croit voir défiler devant nous dans chacune de ses nouvelles.

Une part prégnante de ce style tient aussi à l'humour, omniprésent sous sa plume, mais pas de cet humour gras, qui colle aux doigts, aux pages, au texte. Non, imaginez plutôt un regard en coin, pétillant, espiègle, non dénué d'ironie, de sarcasme même, parfois, et qui balaye de temps à autre les draps de votre corde à linge, comme les souffles d'une gentille brise d'été.

Tout ceci donne une impression de tranquillité, de légèreté, de plaisant, de micro farce. Vous roulez paisiblement, avec le ron-ron du moteur, sourire aux lèvres, vitre baissée, un coude à la portière et puis PAF !, au moment où vous vous y attendiez le moins, subitement, Flannery O'Connor change de ton, donne un grand coup de volant et serre le frein à main à bloc.

Demi-tour à la barbare, vos pneus crissent à vous rompre les tympans, votre sourire s'évapore, vous vous retrouvez hébétés à contre-sens dans un nuage de poussière. le moteur calé. Silence. Vos commissures s'affaissent, vos yeux s'arrondissent, votre front se plisse, une inquiétude sourde et noire volète maintenant par saccade autour de vous, comme une vaurienne chauve-souris. Tandis qu'un fort malaise s'empare de vous, elle vous laisse là, Flannery, en plan au beau milieu de la campagne, le cul sur votre siège, le volant entre les mains et les guibolles qui flageolent, dans l'incertitude la plus totale, à ne plus savoir si vous devez en rire ou en pleurer, à ne plus savoir qu'en penser, ni où vous êtes, ni comment vous vous appelez.

Voilà, c'est ça le style Flannery O'Connor dans Les braves Gens ne courent pas les rues. C'est une expérience littéraire particulièrement savoureuse, typique, typée, et comme tout ce qui est typique et typé, qui ne conviendra pas forcément à tout le monde. En tout cas, quand ça accroche, ça vous laisse un goût unique dans le palais et je ne serais pas surprise que cette auteure ait influencé grandement quelqu'un comme Alice Munro.

Je dois vous avouer que je ne m'y attendais pas. Alors je suis allée voir d'un peu de plus près qui était cette écrivaine, dont le renom n'avait jusqu'ici que vaguement effleuré mon oreille. Je découvre une drôle de personne, sosie quasi parfaite de mon ex-tante Ghislaine avec laquelle je ne partage pas que des bons souvenirs. Je lis que la dame était fervente catholique et comprends à présent pourquoi je lui trouvais un air de bigote effarouchée, un ferment de bonne-soeur. Mais comment diable cette évadée du couvent arrive-t-elle à pondre par dizaines des nouvelles fulgurantes, troublantes, dérangeantes ?

À la lecture, j'aurais presque cru qu'elle était puissamment athée et qu'elle voyait d'un oeil revêche la pratique religieuse. C'est étonnant, pour moi, les deux visions du personnage ne cadrent pas du tout l'une avec l'autre : dans l'une je perçois une brave pécore moralisatrice, très sage, très propre sur elle, rigide (avec ou sans f devant), assise sur les bancs de l'église, les cuisses bien serrées avec ses petits gants blancs et son sac à main sur les genoux ; de l'autre, je vois un regard acéré, féroce, lucide sur la société, des sens aiguisés, à fleur de peau, ultrasensibles, ultrajouissibles, ultracontagieux ne s'interdisant aucune outrance.

Voilà le mystère Flannery O'Connor pour moi. La seule réponse que j'aie pu trouver jusqu'à présent, c'est que sur le berceau de la dévote, un ange de la littérature a déposé le génie, le germe rare dont tous les écrivains marquants sont infusés, aussi improbable que puisse être leur milieu d'extraction.

Alors, c'est vrai, toutes les nouvelles de ce recueil ne m'ont pas toutes autant plu les unes que les autres. Certaines m'ont même franchement laissée indifférente : ce fut le cas par exemple d'Un heureux Événement ou des Temples du Saint-Esprit. Mais en revanche, je considère des nouvelles comme Tardive rencontre avec l'ennemi, Les braves Gens ne courent pas les rues ou encore La Personne déplacée comme des petits chefs-d'oeuvre, chacune à leur façon, surtout si l'on considère que l'auteure n'avait que 28 ans lors de la publication.

En somme, je vous dis bravo, chère Flannery O'Connor et merci pour ce moment que vous m'avez fait passer. Pour le reste, souvenez-vous que les bonnes critiques ne courent pas les rues et que celle-ci ne déroge pas à la règle. Comme toutes les autres, elle ne reflète que mon avis du moment, ce qui doit forcément vous inciter à prendre du recul avec toutes et à songer qu'elles ne signifient, dans le fond, pas grand-chose.
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