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Critique de Patsales


En apprenant que Shakespeare avait eu un enfant prénommé Hamnet, soit l'équivalent d'Hamlet, mort quelques années avant l'écriture de sa pièce la plus célèbre, Maggie O'Farrell a voulu comprendre le mystère de cette double filiation, par le sang et par la dramaturgie.
Quelles que soient les qualités de cette oeuvre puissante, j'ai eu du mal à comprendre les intentions de l'auteur.
S'il s'agit d'écrire sur le deuil qui peut détruire une famille, convoquer Shakespeare n'apporte rien au récit, quand bien même l'évocation de l'Angleterre élisabéthaine y est passionnante.
S'il s'agit de comprendre par quelle alchimie l'art peut sublimer le réel, le roman me semble doublement raté.
En effet, Maggie O'Farrell imagine comment le héros Shakespearien, qui a peu ou prou l'âge qu'aurait l'enfant s'il avait vécu, permet au couple de ressusciter leur fils et d'atténuer leur souffrance. le père joue le fantôme du roi assassiné et, en contrefaisant le mort sur scène, il rétablit l'équilibre et redonne la vie à son fils. Mais le roman regorge déjà d'échappées vers le surnaturel et de pactes avec le destin. La représentation théâtrale n'est qu'un prodige parmi d'autres; la littérature fait un peu mieux que la sorcellerie, mais à peine. L'art ne sublime pas le réel, et le roman suggère même que si vous êtes une femme, donc un peu sorcière, vous pouvez vous en passer.
D'autre part, la résurrection du mort par le personnage qui porte son nom fait fi des problèmes que cela pose. Parce que seul le début de la pièce est pris en compte. Quand, dans le roman, le père arrive enfin chez lui, après avoir appris l'agonie de son enfant, la scène est ainsi écrite :
« Un spectre, un fantôme se trouve à la porte. Mais pour frapper qui ?
De nouveau, les coups : sourds, secs. Si forts que la porte tremble sur ses gonds.
« Qui est là ? » demande Agnes d'une voix plus assurée qu'elle ne l'aurait cru.
La poignée bouge, la porte s'ouvre d'un coup et apparaît soudain, là sous ses yeux, son mari, qui s'avance sous le linteau, ses habits et ses cheveux trempés, assombris par la pluie, des mèches collées sur ses joues. Son visage livide est celui d'un homme qui n'a pas dormi, que le manque de sommeil a rendu fou. »
L'irruption du père annonce ainsi le début de la pièce et l'arrivée du spectre. Maggie O'Farrell, on l'a vu, joue sur l'inversion des rôles: le père sera mort sur scène pour permettre à son fils de revenir à la vie. Ok. Mais la suite de la pièce est passée sous silence alors que c'est là que loge le mystère. Parce que c'est quand même une pièce sur un fils convaincu que sa mère couche en toute conscience avec l'assassin de son père! Et qui la traite expressément de catin. Que Maggie O'Farrell fasse l'impasse sur l'histoire d'Hamlet me sidère. Pourquoi Shakespeare a-t-il choisi de donner, non pas à un adolescent vertueux, mais à son anti-héros procrastinateur et désespéré le prénom de son fils décédé, ce n'est pas dans ce roman qu'on trouvera la réponse…
Si on veut vraiment comprendre ce que peut la littérature quand on vient de perdre un enfant, c'est vers Molière qu'il faut se tourner. Dans « Le Malade imaginaire », acte II, scène 8, intervient pour la seule fois de la pièce une petite fille. Elle a 8 ans, c'est la fille de deux comédiens de la troupe. Jamais le théâtre classique ne fait monter des enfants sur scène. Et la scène n'est pas indispensable : Argan a besoin de savoir si sa fille aînée a bien reçu son galant, il pourrait l'apprendre de toute autre façon. Oui mais le 3° enfant de Molière est mort 4 mois avant la représentation. Quand Louison est menacée du fouet par Argan pour avoir menti, elle fait semblant d'être morte. Et Argan, amusé, joue le jeu: « ma pauvre fille est morte. » Louison, rassurée sur son sort, se relève alors: « Là, là, mon papa, ne pleurez point tant; je ne suis pas morte tout à fait. »
Quand son enfant est mort, Molière a fermé son théâtre une seule soirée. Deuil ou pas, il a une troupe qui compte sur lui pour gagner sa vie. Alors Molière a écrit une scène adorable où il peut à la fois attendrir les spectateurs et pleurer son fils. Quant à la dernière réplique, elle me noue la gorge à chaque fois que je la relis. Louison vient de partir après s'être insurgée de ce qu'on pût croire qu'elle mentait, et Argan, souriant, s'exclame : « Ah! Il n'y a plus d'enfants. »
Il n'y a plus d'enfant. Et Molière est un génie.
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