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Critique de 5Arabella


Premier roman de John O'Hara, publié en 1934, c'est aussi son oeuvre la plus célèbre, celle qui a le moins mal traversé les décennies. de son temps il a été un écrivain reconnu, proche d'Hemingway et de Fitzgerald, qui ont encensé ses écrits, mais qui de ce côté de l'Atlantique au moins, est nettement moins lu maintenant, même si plusieurs de ses livres sont accessibles.

Nous sommes aux USA en 1929, dans une petite ville, Gibbsville. le prospérité de la ville s'est bâtie sur les mines, mais elles sont en cours d'épuisement. La crise ne touche pas encore trop la bonne classe moyenne de la ville, même si certains commencent à éprouver des difficultés. le personnage au centre du roman est Julian English. Fils de médecin, il a refusé de suivre la même route, et il dirige une concession Cadillac, sans grande passion. Il a épousé Caroline, dont il semble très amoureux, au point de montrer une jalousie parfois envahissante. Une vie confortable, à priori sans soucis véritable, bien intégrée à la communauté. Mais tout déraille à une soirée de la bonne société. Julian balance le contenu de son verre à Harry Reilly, sans raison véritable, sauf en avoir marre d'entendre une fois de plus les histoires sans grand intérêt que raconte Reilly. A partir de cet incident, tout s'emballe, et la vie de Julian paraît craquer de tous les côtés.

Le livre décrit une mécanique impitoyable et imparable qui se met en marche, une sorte de tragédie à l'issue prévisible. L'incident de départ est révélateur de toutes les fissures, de toutes les insatisfactions, renoncements, toute la vacuité de l'existence de Julian. Tous les aspects de son existence obéissent à des rituels obligés, à des conventions sociales. Il doit les suivre pour avoir une place. Par exemple, pour pouvoir vendre ses voitures. Mais l'incident est aussi révélateur du côté factice de la concorde sociale, de la convivialité apparente. Reilly est Irlandais, catholique, et le geste de Julian est vite interprété comme l'expression d'une agression communautaire, d'une forme de racisme. Car la société de Gibbsville est profondément ségrégationniste, chacun demeure dans sa communauté d'origine, même si les gens peuvent sembler cordiaux, les haines et rejets sont là, très près de la surface policée, prêts à surgir. le rejet des autres est omniprésent, et l'essentiel est de rester à sa place, celle que la naissance vous a assignée, sinon on déchoit. Mais tout cela doit rester un non-dit, il ne s'agit surtout pas de mettre les choses en lumière. le geste de Julian, qu'il ne comprend pas lui-même, dont il ne voit pas la raison, brise les apparences, et ce pourquoi il est inacceptable. La pression mise par son entourage, en particulier sa femme, et le malaise qu'il éprouve lui-même, amènent Julian à dérailler de plus en plus, à commettre d'autres « inconvenances », comme si une digue avait cédé définitivement.

C'est un tableau brillant et très prenant d'une petite ville, de sa classe favorisée, enfermée dans une sorte de ghetto doré, où toutes les aspirations personnelles doivent céder la place à une forme de reproduction mutilante. Il s'agit de garder ses privilèges, son mode de vie, et de ne surtout pas faire place à des gens qui ne sont pas né dans ce milieu. Rejet du juif, de l'étranger, place subalterne de la femme, qui est un véritable objet. de la même manière que le caïd de la pègre local met sous surveillance sa maîtresse, les bonnes gens s'approprient leurs épouses. Pègre et bonne société faisant d'ailleurs très bon ménage, car les maffias ont leur utilité, par exemple pour fournier en alcool tout ce beau monde.

C'est un constat glaçant. Ces thématiques ont souvent été abordées dans la littérature américaine, mais John O'Hara l'a fait très tôt, et avec une grande efficacité et conviction. Un auteur à découvrir.
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