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Critique de Ys


Ys
24 février 2014
Alors que la Première guerre mondiale s'enfonce dans les tranchées, que l'Irlande s'apprête à se soulever contre l'Angleterre, deux garçons se retrouvent dans une petite paroisse tranquille de la baie de Dublin.
Deux garçons en apparence aussi dissemblables qu'on peut l'être. L'un, père alcoolique, famille misérable, charrie les ordures de la ville et brûle de se battre contre l'oppresseur, pour l'Irlande libre et pour ses travailleurs. L'autre, père épicier, surprotecteur, est tombé sous la coupe d'un moine et se laisse doucement mener vers la prêtrise. L'un est fier, téméraire, insolent, l'autre doux, docile et craintif. Ils sont déjà amis pourtant et s'apprêtent à s'aimer - à s'aimer avec toute la fougue, la maladresse, la tendresse de leurs quinze ans, sous le regard d'abord prédateur puis de plus en plus protecteur d'un jeune aristocrate déchu réfugié chez sa tante.

A travers ce trio redoutablement attachant, Jamie O'Neill réussit une superbe histoire d'amour. Une histoire où l'amour est tour à tour destruction, rédemption, apprentissage et accomplissement de soi - désir innommable, réprouvé, qui ronge de l'intérieur, désir peu à peu sublimé, accepté, revendiqué. Ouverture à l'autre, à l'absolu, au défi, au combat. Ouverture à la vie, jusqu'à braver la mort.

Et pourtant, aussi belle, aussi bouleversante soit-elle, cette histoire, il serait réducteur d'y résumer le roman. Autour de Jim, Doyler et MacMurrough, d'autres personnages possèdent leur histoire, tout sauf négligeable. Les pères ont été amis, eux aussi, autrefois, une amitié à la vie à la mort, abîmée, émoussée par l'âge adulte et les choix de vie, mais dans les cendres de laquelle l'amitié des enfants fait renaître une chaleur oubliée. Et puis il y a Eveline MacMurrough, la tante magnifique - féministe, indépendantiste, amazone scandaleuse à sa manière aristocrate, acharnée à sauver son neveu de lui-même et de son passé malgré le fossé d'incompréhension qui les sépare parfois.

Roman sur l'amour et l'amitié, sur la différence, sur la découverte et l'acceptation de soi, Deux garçons, la mer est aussi le portrait d'une ville et de sa société. Une petite ville paisible que bouleverse la guerre, ses combats lointains, ses absents, que tiraille l'envie d'être grande à son tour, de se battre. Mais se battre pour qui, contre qui ? Contre l'Allemagne ou l'Angleterre ? Pour l'Irlande - mais laquelle ? L'Irlande semi-mythique des ancêtres gaëls, réinventée par une élite en mal de grandeur ? L'Irlande catholique des prêtres et de la ferveur populaire ? L'Irlande républicaine, socialiste même, des Fénians ? Toutes ces Irlande-là cohabitent, s'entremêlent et s'opposent, dispersées en petits groupes, des gamins avec des flûtes, des volontaires en armes, des parodies d'armée, discourant par-ci, trafiquant des fusils par là, incapables de s'unir dans un seul objectif commun quand la grande majorité, au fond, ne veut rien changer à ce qui est.
Autant de courants contraires qui exploseront dans l'insurrection de Pâques 1916, à Dublin. Échec sanglant sous les balles britanniques, fin de l'innocence, entrée brutale dans l'âge adulte pour l'Irlande indépendante... et ceux qui survivront à ce premier combat.

L'adolescence dessinée ici est celle d'une nation autant que d'un homme. le politique et l'intime, métaphore l'un de l'autre, se doublent et se complètent avec une belle subtilité pour former un roman digne des plus grands. Un roman dont le style intimiste - courant de conscience à la James Joyce - m'a un peu rebutée tout d'abord avant de m'emporter, fascinée, vers un très grand coup de coeur.

Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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