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Critique de HordeDuContrevent


Sous la plume boulimique de Joyce Carol Oates, Marylin Monroe n'est pas seulement une star mythique, un canon de beauté à la plastique hallucinante, un sex-symbol wharholisée, elle n'est plus une vulgaire poupée peroxydée, plus une fragile grue camée, nymphomane, suicidaire et schizo, c'est une vraie femme, enfin ! Une femme tout simplement emblématique de son époque et de son temps.

Ce pavé de près de 1000 pages est tout bonnement stupéfiant. le génie de Joyce Carol Oates est indéniable. Elle réussit à nous fasciner, page après page, que nous aimions ou que nous soyons totalement indifférent à la mythique Marylin Monroe, comme c'était le cas pour moi je dois bien l'avouer. Et sans doute, grâce à ce livre, je vois désormais au-delà du mythe. En cela, JCO a réussi un vrai tour de force. La plume est fluide et le livre un véritable page-turner.
Oui, un livre véritablement captivant malgré tout ce que nous connaissons déjà de cette artiste emblématique, depuis l'enfance chahutée marquée par l'absence du père, une mère névrosée et le placement dans de nombreuses familles d'accueil, en passant par son ascension de simple pin-up à icône suprême, ou encore de ses multiples amants jusqu'à la relation adultérine avec JF Kennedy, jusqu'à sa mort encore aujourd'hui mystérieuse à l'âge de 36 ans seulement…


Et pourtant, il y a un côté « poil à gratter » dans ce livre…tout au long de ma lecture, j'ai éprouvé une sorte de malaise car nous naviguons tout du long entre réalité et fiction, l'auteure ayant voulu faire un roman se basant sur quelques éléments vrais, sans tous les mentionner, et surtout en en romançant une bonne partie, c'est donc une sorte de biographie mais pas tout à fait non plus. Une « biofiction » sur le principe de la synecdoque, une partie seulement est révélée, censée représenter le tout. le tout étant plus que la somme de ses parties, les parties dévoilées sont ainsi hautement allégoriques. Pas de révélation de la vie entière donc et part belle faite aux sentiments de Marylin, aux sensations, aux affects comme se les représente en tout cas Joyce Carol Oates, au point parfois de se demander si finalement l'auteure ne révèle pas des choses d'elle-même, la frêle brune se cachant derrière la pulpeuse blonde
L'auteure, en reprenant et en renouvelant quelques éléments du parcours de Marylin, donne ainsi vie à la fille derrière la star, à Norma Jean, fille pleine de failles que le produit marketing et iconique Marylin Monroe allait ensuite venir boucher, colmater…

N'empêche, j'ai ressenti cet entre-deux, ne m'abandonnant jamais tout à fait car dès que je commençais à lâcher prise, je m'interrogeais aussitôt sur la véracité des faits, j'essayais de percevoir à quoi correspondant tel ou tel événement. Ma lecture a été sans cesse ponctuée d'aller-retour sur Internet pour chercher, voir, comprendre…Oui, j'étais troublée par cette façon de faire de JCO, celle de s'approprier la vie de Marylin pour finalement nous avertir que non, c'est un roman, ne vous méprenez pas. Où est la frontière entre le vrai et le faux, quelle place donnée à la mémoire de la personne, voire à son respect, l'auteure pouvant finalement inventer ce qu'elle veut et nous la rendre soit attachante, soit détestable ?

Parfois, en parlant avec mes proches, j'évoquais un fait de la vie de Marylin (il faut dire que lorsque nous lisons ce livre, celui-ci ne cesse alors de nous hanter), parfois de simples petites anecdotes (comme les 5h de maquillage nécessaires avant un événement public) et aussitôt, j'étais troublée, m'arrêtant de parler…ah oui, c'est vrai, ce n'est pas-être, sans doute, pas vrai…Finalement qu'ai-je vraiment appris de sa vie ? Je ne sais pas. Mais n'est-ce pas cette façon même de faire qui m'a tant fait aimer ce livre ? En supplantant les biographies innombrables qui existent sur Marylin Monroe ?

Bref, vous percevez comme je suis troublée et partagée sur cette notion de bio-fiction…
Je veux bien admettre surtout qu'avec ce procédé l'auteure permet d'atteindre l'universelle : celle de toute belle femme, à la fois victime, proie, incarnation de tous les fantasmes masculins, dans les années 50, aux Etats-Unis. Celle de la condition féminine qui prévalait alors où les viols, les intimidations, les avortements, les mariages précoces, les violences conjugales, les humiliations, la condescendance, le fait de devoir passer à la casserole pour atteindre ses objectifs sur le plan professionnel, étaient légion. Rien n'aura été épargné à la star, elle semble condenser tous les maux de ce qu'on pouvait faire aux femmes à cette époque. En ce sens, pour narrer l'épopée de la condition féminine, partir de Marylin est un matériau de choix pour l'auteure.
Après soulignons cependant que l'auteure ne dénonce pas vraiment, ce n'est pas son objectif ici, au contraire elle ne fait que constater et enfoncer tout en nous faisant entrevoir des pans insoupçonnés de la personnalité de la jeune femme, nous la rendant complexe, touchante, mystérieuse, comme peuvent l'être toutes les femmes réifiées qui, au-delà de l'objet manipulé et abusé qu'elles deviennent au sein d'une société patriarcale, cachent des pans entiers de personnalité et de singularité. Tel est à mon sens le véritable sens de ce livre.


Près de 1000 pages donc, en cinq actes telle une tragédie, dans lesquelles Joyce Carol Oates jongle avec virtuosité avec tous les styles littéraires, tous les tons, tous les angles de vue. Nous y trouvons les pensées intimes de Marylin, comme si nous étions réellement dans cette tête aux boucles blondes, des extraits de son journal, des discours, les témoignages – vrais, faux, mystère - de toutes les personnes ayant côtoyé de près ou de loin la fille puis la femme, voix multiples secondaires donnant de la profondeur au personnage, des lettres, des cauchemars…permettant de multiplier les points de vue, de faire le tour des différentes facettes du personnage et du mythe.

« Comme la mer, cette beauté changeait constamment. Comme sous l'effet de la lumière, des gradations de lumière. Ou de la gravitation lunaire. Son âme, mystérieuse et effrayante à ses yeux, ressemblait à une sphère en équilibre précaire au sommet d'un jet d'eau : frémissante, toujours en mouvement, tantôt montant, tantôt descendant… ».

Quelques scènes marquantes et archétypales, supposées ou réelles d'ailleurs, sont décrites de façon éminemment romanesque pour bien mettre en valeur cette incarnation du rêve américain et de ses failles. L'agression sexuelle de son agent juste avant l'audition qui lancera sa carrière, la fausse couche lors de son mariage avec le dramaturge (Henri Miller), ses souffrances incroyables chaque mois lors de ses menstruations qui sont doublées en réalité d'endométriose, maladie à cause de laquelle elle commence à prendre des cachets puissants, sa rencontre et sa relation avec le Président JF Kennedy, le fameux Happy Birthday chanté dans cette robe moulante brillante de mille feux, et la fin de sa vie nimbée de mystère, autant de scènes revisitées avec talent par l'auteure américaine. Sans oublier les différents films, les conditions de tournage, comment Marylin Monroe s'approprie à chaque fois les personnages, ses exigences pour refaire sans cesse chaque scène, sont décrits avec sensibilité et empathie.

Des scènes marquantes donc et un personnage ô combien touchant…Derrière ces cheveux blonds barbe-à-papa si peroxydés qu'ils en paraissaient blancs et exhalaient une odeur de produit chimique, derrière les épaisses couches de maquillage, derrière ces robes chatoyantes quasi-transparentes mettant en valeur ses seins « mammouthesques » et les « deux fesses jumelles de son cul fantastique », robes parfois décolletées dans le dos quasiment jusqu'au coccyx, derrière cette sensualité incandescente telle qu'aucun homme ne pouvait résister - alors qu'elle-même ne savait pas comment avoir des rapports autres que sexuels tout en éprouvant si peu de désir et de plaisir - il y a une femme terrifiée, il y a une femme qui vit une tragédie, qui recherche son père dans tous les hommes aimés, une femme abusée, méprisée, une femme bien plus intelligente que sa timidité le laisse entrevoir, une femme effrayée par sa propre beauté, une femme poète, sensible, délicate…Une enfant fourrée à l'intérieur d'un mannequin voluptueux…Une femme bouleversante et drôle à la fois ingénue et tentatrice. Une mendiante d'amour et de reconnaissance…
Cette femme-là, grâce au talent de JCO, m'a touchée en plein coeur !


« Nous courons sans souci vers le précipice, après que nous avons mis quelque chose devant nous pour empêcher de le voir » - Journal d'écolière de Norma Jean.

Un livre ainsi inoubliable, mais aussi perturbant pour moi, que j'ai eu bonheur de partager avec Anna, Nico, Marie-Caroline et que je n'aurais sans doute pas lu sans cette lecture commune. Merci mes amies blondes et brunes, la « blande » que je suis a aimé ce partage riche en sororité !
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