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Critique de Biblioroz


Eté 2005. Cressida nous dit qu'elle a disparu, par manque d'amour. Dans la réserve forestière dense, où les insectes pullulent avec cette chaleur humide de ce mois de juillet. Des broussailles épaisses, impénétrables à certains endroits. Des rochers et un courant rapide dans la rivière du Nautauga.
Chez les Mayfield, Cressida pense que c'est uniquement sa soeur, la jolie Juliet que l'on aime. Parce que Juliet, avec son caractère doux, heureux et serein est facile à aimer alors que Cressida, avec sa mine renfrognée, ses remarques sarcastiques, ses pensées tortueuses et son intelligence qui l'amène à mépriser les autres ne peut être aimée sans fournir de véritables efforts. À 19 ans, Cressida a le physique d'un garçon de douze ans, elle est différente des autres, jusqu'à son prénom qui la laisse en marge.

Mais Cressida Mayfield est perdue et non disparue, le père s'efforce de garder à l'esprit que rien de grave n'est arrivé à sa fille cadette. Pour lui, les circonstances de cette disparition dépassent l'entendement en bouleversant sa vie de famille jusque là parfaitement maîtrisée. Sa fille a été vue pour la dernière fois dans une taverne bruyante et fréquentée par des motards, un endroit hautement improbable pour la jeune Cressida. Qui plus est, elle était en compagnie de l'ex fiancé de sa soeur, Brett Kincaid. Dans le véhicule du caporal Brett, sang et cheveux ont été trouvés alors qu'assommé par l'alcool associé à un traitement médicamenteux lourd, celui-ci ne se souvient de rien.

C'est d'abord la perception de l'anxiété, de cette angoisse qui envahit la tête de ceux qui attendent, qui espèrent encore, que Joyce Carol Oates nous délivre avec une force méticuleuse. Elle insuffle la sensation d'amputation, de perte, que les parents ressentent. Sa façon est toute particulière, elle accentue les mots, joue avec les redites, martèle les impressions tout en décortiquant chaque parcelle des caractères et des pensées de cette famille Mayfield et du jeune Brett Kincaid.
Et puis, on glisse vers une plongée vertigineuse au coeur de ces êtres qui portent, chacun à leur manière, des marques de mal-être étroitement associées à cette société américaine des années 2000.
Après la tragédie du 11 septembre, Brett s'est engagé pour servir son pays et donner le meilleur de lui-même. C'est avec un visage recousu, des infirmités multiples et des troubles neuropsychologiques qu'il reviendra. Dans sa tête se mélangent les atrocités vécues, celles perpétrées par ses collègues sur des civils irakiens et celles dont on va l'accuser en ce qui concerne la jeune Mayfield. le talent littéraire pour mettre en mot cette superposition est impressionnant. Il sera aussi l'exemple du fils qui, abandonné par son père, est en manque cruel d'une reconnaissance paternelle. Il est le reflet affligeant de l'absence de reconnaissance du pays envers ces soldats abîmés de guerres que l'Amérique continue de déclarer pour des raisons plus économiques que morales ou défensives, se servant du patriotisme de ses citoyens.

Avec le caporal et Cressida, on devinera les différentes formes que peut revêtir la mort : celle d'un soldat tué mais encore debout et celle due à une humiliation trop cuisante pour y faire face. Car derrière son mépris, on découvrira les blessures profondes de Cressida, celles qu'elle a rencontrées lors de ses années d'école.
D'un autre côté, la mère et sa fille aînée représenteront le besoin de faire le bien, le pouvoir du pardon chrétien.

En avançant on trouvera l'Enquêteur et son combat pour une justice sociale. Il est là pour dénoncer le pouvoir judiciaire corrompu, les peines capitales aléatoires et les violences faites aux plus faibles. Les hontes de l'Amérique. Jusqu'à une visite éprouvante et épuisante de la prison d'Orion, du couloir de la mort…

Certaines longueurs ou redondances auraient pu être évitées et faire l'économie de quelques pages mais ce roman foisonne de thèmes terriblement bien exploités, il pointe des faits sur lesquels l'auteure revient en les abordant sous un angle différent sans se soucier d'une chronologie trop restrictive. On trouve dans ce Carthage une analyse approfondie sur les condamnations, celles données par la société mais aussi celles que l'on s'inflige soi-même, la condamnation de nos actes, de nos erreurs, de notre honte. Un livre relativement impressionnant !
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