AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de colka


Jaume Cabre dans Confiteor glisse dans la bouche d'un de ses personnages, écrivain de son état, qu'un bon roman ne se livre à sa lectrice ou son lecteur, qu'après plusieurs lectures. Faut-il appliquer ce principe à Mudwoman de J.C Oates ? Pour moi, ce fut presque le cas...
J'ai lu le roman en apnée mais éprouvé le besoin de le parcourir à nouveau pour détricoter la toile d'araignée dans laquelle je m'étais laissé entraîner par l'auteure. La suivre c'est accepter d'être déstabilisé et d'entrer dans un labyrinthe où l'on se perd, se retrouve pour mieux se perdre ensuite. Présent et passé se mêlent dans un subtil entrelacs au fil des chapitres et parfois dans le même chapitre. Heureusement, n'échappent pas à notre attention les signaux essaimés çà et là et qui sont autant de petits cailloux semés habilement sur notre chemin. Une phrase leitmotiv par exemple scande littéralement tout le roman : "préparée, tu dois être préparée" et crée une sorte de martèlement et de tension dramatique parfois très forte. Idem pour le thème récurrent de la chute décliné sur différents modes et qui là aussi marque des moments forts et déterminants dans le parcours de Mudwoman .
Même jeu du chat et de la souris avec le rêve et la réalité, le rationnel et l'irrationnel. Un événement conté de façon très réaliste dérape soudain vers un rêve souvent cauchemardesque de l'héroïne. Et -cerise sur le gâteau- la réalité est elle-même souvent mise en doute, notamment dans la scène finale narrée de façon à basculer presque dans le fantastique, tant et si bien que l'on se pose la question de sa réalité. Pas étonnant alors que le conte soit si présent dans le roman : il contamine par exemple la réalité au point qu'un événement réel est raconté avec les codes du conte , comme l'épisode du Roi des corbeaux où la trame du conte est utilisée pour raconter le sauvetage de l'héroïne de la boue où l'avait jetée sa mère.
J.C. Oates joue donc beaucoup avec les genres, le changement de perspective, les tonalités. Elle joue aussi avec les limites, nos limites, notamment au niveau de l'intolérable et de l'inacceptable. La scène inaugurale du roman par exemple est glaçante d'horreur puisqu'elle évoque un geste abominable, celui d'une mère en proie à un délire mystique jetant son enfant, l'héroïne principale, dans la boue, au bord de la Black Snake River.
Pourquoi alors, outre le plaisir ambivalent d'être dérangée dans mon confort de lectrice, ai-je beaucoup aimé ce roman ?
Je pense que la première raison est qu'il pose de façon magistrale la problématique suivante : comment survivre à l'horreur et même vivre sans porter constamment un masque, sans jouer le rôle que la société attend de celle qui a été sauvée miraculeusement et qui doit payer son dû. Comment ne plus vivre dans une forme d'imposture qui devient au fil des années insupportable. C'est ce défi que doit relever Mudwoman, sauvée de la boue et de la folie meurtrière de sa mère et devenue Présidente d'Université. C'est sa formidable capacité de résilience que J.C Oates sait si bien mettre en avant et c'est aussi ce qui m'a permis d'accepter toutes les scènes d'horreur très présentes dans les cauchemars de l'héroïne. Pas de complaisance, ni de voyeurisme, simplement une plongée dans les tréfonds tourmentés de la psyché humaine. Mais c'est parfois très éprouvant tout comme l'humour noir dont l'auteure fait souvent usage. Un humour grinçant ravageur, comme dans cette scène onirique où Mudwoman se marie avec un vétéran affreusement mutilé et dont elle décrit avec une précision clinique toutes les blessures. On serre les dents bien sûr, mais en même temps on est confronté de plein fouet avec la folie meurtrière des hommes et de la guerre.
J'aurais pu aussi évoquer d'autres richesses de ce roman mais je m'en voudrais d'abuser plus longuement de l'attention de mes lectrices et de mes lecteurs.
Commenter  J’apprécie          693



Ont apprécié cette critique (65)voir plus




{* *}