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Critique de gabb


Un jour peut-être, je serai déçu par Joyce Carol Oates.
Un jour peut-être il y aura, dans son oeuvre pléthorique, un titre qui me fera un peu déchanter ... mais ce jour-là n'est pas encore venu !

Avec Sacrifice, elle nous délivre une fois encore un roman puissant, tragique et fermement ancré dans une réalité terrible : celle des tensions raciales qui depuis toujours déchirent l'Amérique.
Tout démarre par un fait divers atroce, avec la disparition de la jeune Sybilla Frye. Dès les premières pages glaçantes, le désespoir de sa mère Ednetta, arpentant hébétée les trottoirs crasseux de Camden Avenue, dans les bas quartiers de Red Rock, nous saute au visage.
Avec force détails et tout le réalisme qu'on lui connaît, l'auteur nous dépeint une banlieue sordide, un ghetto de misère définitivement abandonné par les pouvoirs publics. Abondantes descriptions d'immeubles insalubres, de voitures calcinées, de terrains vagues jonchés de caddies, de seringues et de préservatifs usagés. L'enfer sur terre.

Quand miraculeusement, trois jours plus tard, Sybilla est retrouvée ligotée dans une usine désaffectée, souillée d'excréments et barbouillée d'injures racistes, et qu'elle prétend avoir été kidnappée et violée par plusieurs policiers blancs, c'est tout le quartier qui entre en ébullition. Les accusations de la jeune fille se répandent comme une trainée de poudre au sein d'une communauté noire déjà sous tension, elle qui depuis trop longtemps s'estime opprimée et victime de violences policières.
Bientôt toute la ville s'embrase, alors que surgissent Marus et Byron Mudrick (un pasteur cupide et son frère avocat lui aussi avide de notoriété), deux rapaces déguisés en fervents défenseurs des droits civiques bien décidés à s'emparer de l'affaire et à instrumentaliser la jeune Sybilla.

Que s'est-il vraiment passé dans cette cave ? Qui sont les coupables ? Sybilla croit-elle elle-même à son histoire ?
Pour les deux manipulateurs peu importe, des Blancs doivent payer, et tant pis s'il devient vite impossible de démêler le vrai du faux. On ne saura d'ailleurs jamais le fin mot de l'histoire (à moins d'aller se renseigner sur Internet pour en apprendre davantage sur le véritable fait divers dont s'est inspiré l'auteur), mais l'essentiel est peut-être ailleurs...
En effet la quête de justice et d'égalité, ainsi que la mise au jour de la vérité, ne sont ici que secondaires : ce que nous raconte Oates, c'est avant tout l'histoire d'une impasse, l'inexorable escalade de la haine.
Les portraits qu'elle dresse, terribles mais toujours pleins de justesse et d'acuité, sont ceux de deux Amériques irréconciliables, et le racisme endémique qu'elle dénonce de sa plume experte fait véritablement froid dans le dos...
Bien sûr le lecteur prend vite fait et cause pour la victime présumée, avant de réaliser que la machine infernale, attisée notamment par la hargne des frères Mudrick est en passe de faire des ravages dans les deux camps, et que l'intolérance des leaders Noirs n'a rien à envier aux abjections des Blancs.

Dans ce texte très dur et parfois un peu redondant (qui préfigurait déjà en 2016 les violences engendrées dernièrement par la mort de George Floyd), Oates n'épargne personne, et surtout pas son lecteur !
Au coeur de la mêlée, le voilà donc rudement chahuté, sidéré par l'ampleur de d'emballement médiatique, effrayé par l'implacable mécanique de la vengeance, pantelant d'effroi mais heureusement convaincu, en fin de lecture, d'avoir tenu entre les mains le livre d'une immense romancière.
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