La douleur est un siècle, et le plaisir un moment; ménageons-nous pour en jouir, dit le convalescent voluptueux.
Frappée d’une si prodigieuse différence, tout émue, elle y porte la main en tremblant; elle le caresse, elle en ignore l’usage, elle ne comprend pas pourquoi son cœur bat si vite, elle ne se connaît presque plus; mais enfin, lorsque revenue à elle-même, un trait de lumière a passé dans son cœur, elle le regarde comme un monstre, la chose lui paraît absolument impossible, elle ne conçoit pas encore, la pauvre Agnès, tout ce que peut l’amour.
Consolez-vous, jeune berger, le flambeau de l’amour dissipera bientôt les nuages qui retardent vos beaux jours; les plaisirs après lesquels vous soupirez ne vous seront pas toujours inconnus; la Nature vous en offrira partout l’image; deux animaux s’accoupleront en votre présence; vous verrez des oiseaux se caresser sur une branche d’arbre, qui semble obéir à leurs amours.
Le plaisir de la table succède à celui des spectacles. Le voluptueux sait choisir ses convives; il veut qu'ils soient, comme lui, sensuels, délicats, aimables et plutôt gais, plaisants que spirituels. Il écarte tout fâcheux conteur, tout ennuyeux érudit. Surtout point de beaux esprits; ils aiment plus à briller qu'à rire. Des bons mots, des saillies, quelques étincelles(l'esprit à la mousse comme le champagne)...
Assez d'autres ont chanté les gloux-gloux de la bouteille; je veux célébrer ceux de l'amour, incomparablement plus doux. P38
[...] l'empire de l'amour ne reconnaît d'autres bornes que celles du plaisir !
Que dirai-je enfin ? toute la Nature est dans un coeur qui sent la volupté.
Tout est plaisir pour un coeur voluptueux ; tout est roses, oeillets, violettes dans le champ de la Nature. Sensible à tout, chaque beauté l'extasie ; chaque être inanimé lui parle, le réveille ; chaque être inanimé le remue ; chaque partie de la Création le remplit de volupté.
Le voluptueux aime la vie, parce qu'il a le corps sain, l'esprit libre et sans préjugés. Amant de la Nature, il en adore les beautés, parce qu'il en connaît le prix ; inaccessible au dégoût, il ne comprend pas comment ce poison mortel vient infecter nos coeurs.
Ne perdons point le temps en regrets frivoles ; et tandis que la main du printemps nous caresse encore, ne songeons point qu'elle va se retirer ; jouissons du peu de moments qui nous restent ; buvons, chantons, aimons qui nous aime ; que les jeux et les rires suivent nos pas ; que toutes les voluptés viennent tour à tour, tantôt amuser, tantôt enchanter nos âmes ; et quelque courte que soit la vie, nous aurons vécu.