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Critique de boudicca


« Qui a peur de la mort? ». Onyesonwu en igbo : le nom de l'héroïne de ce singulier roman signé par l'auteur américano-nigérienne Nnedi Okorafor et qui constitue sans aucun doute l'un de mes plus beaux coups de coeur de cette année 2013, pourtant riche en sortie de qualité. Il faut dire aussi que le roman a eu l'honneur d'être récompensé dernièrement par le prestigieux World Fantasy Award 2011 ! L'action se limite à une région bien définie (correspondant aujourd'hui au territoire du Soudan) où deux tribus se livrent depuis des temps immémoriaux une lutte sans merci . D'un côté les Nurus, peuple «béni» par la déesse Ani et supposé assurer leur domination sur son territoire, de l'autre les Okeke, peuple en voie d'extinction, asservi par les Nurus et dont les quelques tentatives de révolte se sont, jusqu'à présent, toujours soldées par un échec. On comprend rapidement grâce à quelques indices que nous nous trouvons en réalité dans une Afrique post-apocalyptique, un élément que l'on pourrait toutefois aisément être tenté d'oublier tant l'univers dépeint par Nnedi Okorafor n'a plus grand chose à voir avec le notre, géographiquement et culturellement parlant. Pour le reste, on retrouve hélas un sentiment de déjà-vu : massacres, pillages, meurtres, viols..., les atrocités s'accumulent dans un camp comme dans l'autre, preuve que, quoi qu'il se soit passé, les hommes sont, en ce qui les concerne, restés fidèles à eux-mêmes.

C'est dans ce contexte qu'on découvre la triste histoire de la jeune Onyesonwu, dont le nom sonne comme un véritable défi lancé à la grande faucheuse qui semble hélas hanter ses pas. Car notre héroïne a le malheur d'être née ewu, une enfant du viol, mi Nuru par son père, mi Okeke par sa mère, et par conséquent considérée par tous comme une paria. Car qui voudrait prendre le risque que la violence de sa conception rejaillisse un jour dans l'un de ses actes ? Rongée par l'horreur de sa naissance que la société ne lui laisse jamais oublier, la jeune fille possède heureusement l'atout de savoir manipuler avec aisance la magie. Mais difficile, dans un monde dominé par les hommes, de se faire une place et de tracer sa propre voie. A travers le récit bouleversant de la jeune fille, Nnedi Okorafor en profite pour rappeler et dénoncer certains tabous rarement abordés, notamment au sein des littératures de l'imaginaire : le viol utilisé comme redoutable arme de guerre ; la pratique de l'excision des jeunes filles ; l'embrigadement d'enfants soldats... Certaines scènes sont particulièrement prenantes, et ce même si vous n'avez pas particulièrement l'âme sensible. Difficile par exemple de rester de marbre à la lecture du viol de la mère d'Onyesonwu ou encore du rituel d'excision des jeunes filles Okekes.

Ne vous y trompez donc pas, le récit de Nnedi Okorafor est sombre et dur, les personnages comme le lecteur se voyant confrontés à des réalités choquantes qu'ils préféreraient certainement occulter. Révolte et horreur sont deux sentiments qui ne sont jamais bien loin tout au long de cette lecture dont on ressort à la fois sonné et émerveillé. Car parallèlement à toutes les atrocités et la dureté auxquelles on se retrouve confronté, on découvre également un univers exotique fascinant. le monde de Nnedi Okorafor pourrait ainsi ne rien à voir avec un monde post-apo mais relever de la pure fantasy, un dépaysement lié aussi bien à ces vastes étendues désertiques qui constituent l'essentiel des paysages du roman qu'à l'omniprésence de la magie au sein des sociétés okekes et nurus dont le fonctionnement nous est aussi parfaitement étranger. de même, il est pour une fois appréciable de découvrir certains éléments ou concepts prenant leurs racines dans la culture africaine que, pour ma part, je connais très peu (l'idée des mascarades, sortes d'esprit des ancêtres ou du désert pouvant adopter des formes très diverses, m'a notamment particulièrement plu). Un mot, enfin, concernant les personnages, tous bourrés de défauts mais néanmoins attachants : le vieux sorcier Aro ; la courageuse et sulfureuse Luyu, la petite Binta... Et bien évidemment le couple au centre du roman, Onyesonwu et Mwita, dont la relation constitue l'un des principaux attraits du récit.

Avec « Qui a peur de la mort », Nnedi Okorafor signe un roman bouleversant traitant de sujets rarement abordés en fantasy et mettant en scène une héroïne atypique et dont je me souviendrai certainement longtemps. Les nombreux éléments liés à la culture africaine apportent un charme supplémentaire au récit qui malmène autant qu'il séduit le lecteur qui ne sortira pas indemne de sa lecture. Une excellente découverte que je conseille chaleureusement.
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