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Critique de fanfanouche24


Une lecture-tsunami, qui chavire, secoue, fait tanguer , agit comme une véritable tornade!…
Mais quelle plume, quels risques assumés au prix de l'existence de son auteure !

En furetant chez mes camarades libraires… je fonce toujours vers le petit espace où se trouvent les publications des éditions Actes Sud, et je suis tombée sur ce premier roman d'une auteure d'origine kurde, écrivant en danois, qui vit au Danemark depuis son très jeune âge, en 2001, après cinq années d'épreuves dans les camps de réfugiés avec sa famille, afin de fuir le Kurdistan en guerre !

Je me permets de débuter par un très long extrait qui est, dans son propos, illustre au mieux le noyau central de cette narration. Il s'agit de Frmesk, notre héroïne, que l'on retrouve plus de 20 ans après le début de l'histoire, seule, sans visite, dans un hôpital, avec le corps abîmé, malade, ayant vécu moult traumatismes, prenant sous son aile une jeune future médecin, Darya, terrorisée, surveillée par un père fanatique, qu'elle écoute dans ses angoisses, et panique face à un père qu'elle ne reconnaît plus, depuis qu'elle devient une femme….

« Chère Darya,
(...) quand on décrète que vous ne serez jamais vraiment un être humain parce que vous n'êtes pas né garçon- alors trois choix s'offrent à vous dans la vie :

Vous pouvez tenter de tenir le coup, de vous taire, de subir la violence et l'oppression en silence derrière votre voile.

Vous pouvez mourir de votre propre main ou de celle d'un homme.

Ou alors, vous pouvez essayer de briser les chaînes, au risque de tout perdre . Même la vie. (...)

Pour moi, la vie consiste à garder la foi en son humanité, afin que le mal ne puisse nous dévorer. Pourtant, mes mots donnent la parole au mal, mais si je le fais, c'est simplement dans le but d'être entendue. Mes mots, c'est tout ce qu'il me reste. Sans eux, je ne serais rien. (...)

N'oubliez jamais que vous êtes précieuse
Affectueusement

Frmesk”

Un premier roman devant lequel j'ai beaucoup hésité, tant le sujet est oppressant, et finalement, dans ce monde de violences et maltraitances faites aux femmes, j'ai été attirée par les grands-parents maternels de notre frêle héroïne, Frmesk [« Larme » en kurde ], un couple d'espoir et de lumière extraordinaire dans cette narration tragique …

-Gawhar, « laveuse de mort », s'occupe du corps des femmes que personne ne réclame, ni ne veut toucher ni enterrer, mortes dans l'indignité et sous la violence des hommes, assassinées, le plus souvent.
- Darwésh, le grand-père, colonel à la retraite qui, contrairement à sa femme, ne lit pas uniquement le Coran, s'intéresse aux autres religions, à la philosophie, à l'histoire, possédant une riche bibliothèque. Ce foyer bienveillant élèvera un moment leur petite fille pour qu'elle ne soit pas « enterrée vivante » par son propre père, pour qui les filles ne sont rien, ne valent rien, en dehors de ses instincts sexuellement violents , envers son épouse, allant jusqu'à participer à des "crimes d'honneur"...

Un personnage masculin, comme la majorité , présente dans le texte, qui font « froid dans le dos » ! Toutefois la cruauté n'est pas toujours que du côté « masculin », mais aussi du côté des « belles-mères », femmes conditionnées et dressées dès le berceau, devenant à leur tour « tortionnaires » …sanctifiant leurs rejetons masculins, les encourageant dans leur mépris des femmes…dans le respect des traditions les plus infâmes !

Le récit fait un va et vient entre l'enfance d'Frmesk, dans les années 1986, et son présent en 2016, où on la retrouve seule, hospitalisée, ayant pris en affection une jeune étudiante en médecine, Darya, venant se confier à elle, lui exprimant la terreur qu'elle a de son père, ; ce dernier la surveillant de façon obsessionnelle, ne supporte pas même qu'elle parle avec cette malade… Il enquêtera sur Frmesk, la remettra en danger ! Frmesk, tout en soutenant Darya, revit à cause d'elle et de ce père agressif, les brutalités et agressions dont elle a été elle-même victime, dans le passé.

Hormis la cruauté insensée faite aux petites filles comme aux femmes kurdes et de tous pays, restent les lumières extraordinaires que sont le courage, le combat des femmes au péril de leur vie [ **Rappelons que l'auteure, même publiée au Danemark, en 2017, a été menacée de mort , à ce moment-là ].

L'acquisition de ce texte d'une qualité incontestable, est aussi un très modeste et geste (nécessaire à mes yeux, dans notre monde progressant dans "la peur") de solidarité envers l'audace et le courage de cette jeune femme. Chapeau bas pour la beauté du style de ce texte ainsi que pour les engagements courageux et multiples de Sara Omar contre les violences infligées aux femmes, aux enfants, dans son pays et à travers le monde!!

Une lecture dont on ne ressort pas indemne, quand on sait avec horreur que la réalité aussi barbare soit-elle dépasse la fiction, détruit enfants, femmes, en toute impunité , à travers le monde, au nom d'une religion et de traditions archaïques...

Cet ouvrage s'arrête brusquement à un moment critique de l'enfance de Frmesk, où les grands-parents aimants, figures chaleureuses persistent et gardent leur petite-fille pour la protéger de la belle-famille de leur fille… mais un autre ennemi « intérieur » à la famille surgira à l'insu de ces derniers.
Cherchant plus avant, j'apprends que cet ouvrage est le premier tome d'une trilogie, dont le deuxième opus a été publié cette année au Danemark…Je serai très attentive à ses futurs écrits, qui seront, j'imagine, suivis par son éditeur français !.

Une totale déflagration que cette lecture, en sachant que ce roman a permis à l'auteure d'évacuer, d'éloigner les idées suicidaires l'habitant après tous les traumatismes subis, en tant que « fille »…née au Kurdistan, entre la guerre et la violence intime des hommes dans leurs foyers !

Sans oublier de vifs remerciements à Actes Sud, pour leurs choix éditoriaux et leur détermination intacte depuis plusieurs décennies !
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