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Critique de Osmanthe


Il y a quelques mois, à travers mon billet sur l'anthologie de poésie japonaise, « Poèmes de tous les jours » établie par Makoto Ooka, combien il avait contribué à réintroduire la poésie dans le quotidien des Japonais à travers la publication d'un poème chaque jour dans le grand journal Asahi Shimbun, et ce avec une belle persévérance, pendant plus de vingt ans.
Makoto Ooka, décédé en 2017, a eu la modestie de ne pas s'inclure dans ce recueil où il aurait eu toute sa place, tellement il a lui-même marqué la poésie japonaise de l'après seconde guerre mondiale, de par sa propre production.

C'est ce que montre sa remarquable anthologie personnelle, Citadelle de lumière, publiée par les éditions Picquier au début des années 2000. Je ne reviendrai pas dans cette critique sur les superbes poèmes exposés, j'ai eu l'occasion d'en citer de nombreux extraits par ailleurs.
Disons qu'ils marient avec un extraordinaire bonheur un élégant classicisme avec une vision plus moderne, contribuant largement à redonner une attractivité nouvelle au genre. Surtout, ils sont empreints d'un grand humanisme né du traumatisme de la guerre et de la bombe, et d'une ouverture culturelle sur le monde.

Ooka raconte en préface (en 2001) que la capitulation du Japon, vécu comme un drame par nombre de ses compatriotes, a plutôt été un heureux révélateur pour lui, un point de départ. « Dans mon histoire personnelle, cette défaite représente un tournant essentiel, en ce sens que s'ouvrirent alors de nouveau, vers le monde occidental, des trouées qui durant de nombreuses années étaient restées presque entièrement bouchées. Pour l'adolescent que j'étais, et qui se croyait voué à une mort certaine au front vers l'âge de vingt ans, l'arrêt des hostilités fut donc vécu comme un événement primordial, on ne peut plus heureux. »

Il rappelle une nouvelle fois l'histoire de la poésie japonaise, distinguant d'une part le waka, à la fois terme générique et qui correspond à la forme historique fixée dès le 8ème siècle, remplacé au 20ème siècle par le poème court tanka, et d'autre part le haikai apparut au 16ème siècle et devenu haïku, forme très brève résultant d'un raccourcissement du waka.

Quant à sa propre contribution, Ooka prétend s'inscrire dans une poésie libre (jiyû-shi) qui s'affranchit du carcan formel de ces genres traditionnels et permet davantage d'innovations de langage. Il aime notamment faire coexister des concepts qui a priori s'opposent. Il introduit dans la poésie contemporaine les préoccupations sociales et environnementales qui interrogent la société de son temps, notamment la jeunesse. Il a puisé à la fois dans les influences occidentales, notamment des surréalistes, et la tradition japonaise du bouddhisme zen ou les chansons populaires du Moyen-Age.

Ooka écrivait encore des mots qui résonnent en 2022 avec une acuité toute particulière et comme une terrible mise en garde. « En l'occurrence, je reviens une fois encore au pouvoir ambivalent de la science : les deux bombardements atomiques ont prouvé qu'elle était capable de provoquer d'effroyables désastres, mais elle peut en même temps se targuer de garantir à la plus grande part de l'humanité progrès et bien-être. Comparons notre planète à un énorme navire sur lequel nous sommes tous embarqués : ce navire, dangereusement balloté par les houles de tous les dangers, et recélant en sa coque des foyers de violences et d'intrigues incessantes, poursuit tant bien que mal sa traversée. Pour le moment, il n'est pas encore menacé de sombrer, mais ses flancs sont fissurés de partout. Et le pressentiment d'un naufrage éventuel est partagé par tous ceux qui, dans le monde, sont réceptifs aux signaux de leurs antennes intuitives. » Et de conclure que le poète a dans ce contexte une véritable mission, un message humaniste universel à transmettre : « Dans cette époque qui est la nôtre, les poètes sont toujours aussi nombreux. En effet, composer des poèmes, c'est témoigner qu'on est pleinement vivant. Tel est avant tout le message que la poésie, en ces temps troublés, lance à l'intention du lecteur inconnu. Tel est également, pour ma part, le « testament » que je voudrais adresser au lecteur. « Testament », car n'oublions point ─ comme je l'écris dans un des poèmes de ce recueil ─ que « les cataclysmes surviennent comme l'éclair ».

Une voix marquante et précieuse, qui s'exprime dans ce recueil absolument magnifique comportant des poèmes de tons et de formes variés. A découvrir d'urgence, si vous parvenez à le trouver.
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