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Dominique Palmé (Traducteur)
EAN : 9782877306089
167 pages
Editions Picquier (28/05/2002)
4/5   4 notes
Résumé :
Ooka Makoto est certainement le poète le plus fécond et le plus admiré au Japon. Il a choisi, parmi la quinzaine de recueils publiés dans son pays entre 1956 et 1997, les soixante-huit poèmes destinés à cette anthologie, poèmes composant autant de motifs mélodiques qui, par la variété même de leurs nuances, devraient permettre de capter la singularité d'une voix.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Il y a quelques mois, à travers mon billet sur l'anthologie de poésie japonaise, « Poèmes de tous les jours » établie par Makoto Ooka, combien il avait contribué à réintroduire la poésie dans le quotidien des Japonais à travers la publication d'un poème chaque jour dans le grand journal Asahi Shimbun, et ce avec une belle persévérance, pendant plus de vingt ans.
Makoto Ooka, décédé en 2017, a eu la modestie de ne pas s'inclure dans ce recueil où il aurait eu toute sa place, tellement il a lui-même marqué la poésie japonaise de l'après seconde guerre mondiale, de par sa propre production.

C'est ce que montre sa remarquable anthologie personnelle, Citadelle de lumière, publiée par les éditions Picquier au début des années 2000. Je ne reviendrai pas dans cette critique sur les superbes poèmes exposés, j'ai eu l'occasion d'en citer de nombreux extraits par ailleurs.
Disons qu'ils marient avec un extraordinaire bonheur un élégant classicisme avec une vision plus moderne, contribuant largement à redonner une attractivité nouvelle au genre. Surtout, ils sont empreints d'un grand humanisme né du traumatisme de la guerre et de la bombe, et d'une ouverture culturelle sur le monde.

Ooka raconte en préface (en 2001) que la capitulation du Japon, vécu comme un drame par nombre de ses compatriotes, a plutôt été un heureux révélateur pour lui, un point de départ. « Dans mon histoire personnelle, cette défaite représente un tournant essentiel, en ce sens que s'ouvrirent alors de nouveau, vers le monde occidental, des trouées qui durant de nombreuses années étaient restées presque entièrement bouchées. Pour l'adolescent que j'étais, et qui se croyait voué à une mort certaine au front vers l'âge de vingt ans, l'arrêt des hostilités fut donc vécu comme un événement primordial, on ne peut plus heureux. »

Il rappelle une nouvelle fois l'histoire de la poésie japonaise, distinguant d'une part le waka, à la fois terme générique et qui correspond à la forme historique fixée dès le 8ème siècle, remplacé au 20ème siècle par le poème court tanka, et d'autre part le haikai apparut au 16ème siècle et devenu haïku, forme très brève résultant d'un raccourcissement du waka.

Quant à sa propre contribution, Ooka prétend s'inscrire dans une poésie libre (jiyû-shi) qui s'affranchit du carcan formel de ces genres traditionnels et permet davantage d'innovations de langage. Il aime notamment faire coexister des concepts qui a priori s'opposent. Il introduit dans la poésie contemporaine les préoccupations sociales et environnementales qui interrogent la société de son temps, notamment la jeunesse. Il a puisé à la fois dans les influences occidentales, notamment des surréalistes, et la tradition japonaise du bouddhisme zen ou les chansons populaires du Moyen-Age.

Ooka écrivait encore des mots qui résonnent en 2022 avec une acuité toute particulière et comme une terrible mise en garde. « En l'occurrence, je reviens une fois encore au pouvoir ambivalent de la science : les deux bombardements atomiques ont prouvé qu'elle était capable de provoquer d'effroyables désastres, mais elle peut en même temps se targuer de garantir à la plus grande part de l'humanité progrès et bien-être. Comparons notre planète à un énorme navire sur lequel nous sommes tous embarqués : ce navire, dangereusement balloté par les houles de tous les dangers, et recélant en sa coque des foyers de violences et d'intrigues incessantes, poursuit tant bien que mal sa traversée. Pour le moment, il n'est pas encore menacé de sombrer, mais ses flancs sont fissurés de partout. Et le pressentiment d'un naufrage éventuel est partagé par tous ceux qui, dans le monde, sont réceptifs aux signaux de leurs antennes intuitives. » Et de conclure que le poète a dans ce contexte une véritable mission, un message humaniste universel à transmettre : « Dans cette époque qui est la nôtre, les poètes sont toujours aussi nombreux. En effet, composer des poèmes, c'est témoigner qu'on est pleinement vivant. Tel est avant tout le message que la poésie, en ces temps troublés, lance à l'intention du lecteur inconnu. Tel est également, pour ma part, le « testament » que je voudrais adresser au lecteur. « Testament », car n'oublions point ─ comme je l'écris dans un des poèmes de ce recueil ─ que « les cataclysmes surviennent comme l'éclair ».

Une voix marquante et précieuse, qui s'exprime dans ce recueil absolument magnifique comportant des poèmes de tons et de formes variés. A découvrir d'urgence, si vous parvenez à le trouver.
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
LES STATUES ÉGYPTIENNES

(Souvenir de ma vingtième année)
Les statues égyptiennes en alignement parfait
règnent de toute leur masse dans le couloir d’un grand temple qu’inonde
le couchant.
Dans mon cerveau sur la balance de ma mémoire
elles n’ont pour faire vaciller l’émotion ni le poids ni le charme
d’un tourbillon de pétales dérivant au ciel
mais leurs formes figées dans l’immobilité
règnent sur les vastes plaines d’Asie et d’Europe
et s’adonnent à la tâche silencieuse
de changer le calme de la mort en saveur du temps.
Ce goût du temps
a l’odeur fraîche d’une moisissure.
L’odeur du moisi, et sa fraîcheur.
Les statues égyptiennes parlent en silence...
Quand il perdit de vue la « vertu »
l’être humain découvrit la « justice ».
Quand il perdit de vue la « justice »
il inventa les « rites ».
Sitôt que les « rites » tombèrent en ruine
l’être humain accéda à la notion d’« ego ».
Quand il s’aperçut que cette notion d’« ego »
n’est rien d’autre qu’un artifice illusoire et friable
l’être humain aux « rites » substitua la discipline
Quand il céda au bien-être de se faire l’esclave de la discipline
l’être humain fut enfin frappé par le sens de cette immobilité
qui nous fige, nous les statues égyptiennes.
L’être humain saisit alors, d’une perception plus vive,
qu’en ce monde flottant
ceux qui psamoldient à voix mélodieuse
ne connaissent pas toujours le bonheur.
Que le rire parfois peut sonner creux.
Que les larmes parfois sont gouttelettes de mensonge.
Ô toi, fragile raison de l’homme !
Aie foi en nos préceptes muets !
Aie foi en eux !
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Ainsi parlèrent
au firmament de mon cœur
les statues égyptiennes en alignement parfait
régnant de toute leur masse dans le couloir d’un grand temple
qu’inondait le couchant.
En ce temps-là j’étais un vieillard de vingt ans.
Ces paroles des statues égyptiennes s’abattirent comme une volée de
coups
sur mon esprit qui poursuivant son rêve de fendre les icebergs par le
milieu
avait fini pourtant au terme d’une lente noyade par se décomposer
en plancton des Mers du Sud.
Quel choc rafraîchissant !
Banni du monde de l’immobilité
j’étais soudain rejeté à la frange d’une vie qui se sait mortelle.
Sur les rivages d’un cœur battu par les vagues
vient voleter une lettre.
Projectile de papier lancé d’une ville du bord de mer par une jeune fille
esseulée
qui pour avoir accepté ses épaules aux ailes brisées
n’a pu guérir de son bégaiement.
« Dis, pourquoi ?
– Pourquoi quoi ?
– Pourquoi nous vivons ? »
Les questionnements auxquels il n’est pas de réponse
sont toujours formulés de façon très simple.
« Dis, pourquoi ? »
« Pourquoi faut-il donc vivre ? »
En ce temps-là j’étais un vieillard de vingt ans.
« Pourquoi ? Qui peut le savoir !
Mais à l’instant je viens de réaliser au moins une chose
C’est sans doute pour que m’accable
l’étonnement de te contempler avec des frissons
que je suis arrivé à l’âge de vingt ans,
tout simplement.
Ah, voici que déjà
brisant de coups le torse de la nuit
j’en suis réduit à aller voler l’écume incandescente du soleil.

Avec la dévorante innocence du feu
je ne puis que m’éteindre sur mes propres cendres
car il ne me reste plus rien à brûler. »
De ce jour-là je suis devenu un jeune homme.

(Hi no yuigon, 1994, Kashin-sha)
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FRAGMENTS

1.
À cheval sur la trotteuse d’une montre mécanique
un homme tourne et tourne encore sans se lasser.
Sur les degrés des chiffres d’une montre électronique
un homme souffle et s’essouffle sans cesser de sauter.
Mais c’est sans eux hors d’eux que le « temps » toujours
en son flot généreux continue de se déverser.
... Ces deux hommes ceux-là
ne sont autres que moi.

2.
La lumière trop vive du plein midi
de tous les corps annule
les ombres ténues.
Voilà pourquoi le peintre en moi
privilégie la nuit.
Voix de l’ombre de loin plus polyphonique que la lumière.

3.
Au cœur de la lumière l’homme
avec sa raison
pour enfanter des ténèbres poissées de sang
est tout entier à l’œuvre.

Tandis que sous nos pieds dans la terre de l’hiver,
des vers innombrables
du cœur des ténèbres
captent très exactement
de quelles hauteurs vient pleuvoir la lumière.
Sans avoir besoin d’yeux.

4.
Aux poèmes qui chantent l’allégresse de l’amour
on préfère trois fois les chants d’amour déçu.
Bien plus qu’au printemps les cents variétés de roses du jardin botanique
serrant dix fois mon cœur me reviennent
Avec le sourire de compassion qu’elle eut pour moi en s’en allant
les cinq rides profondes au coin de ses yeux.

5.
Plantes de printemps le long du chemin et leur floraison multicolore
Au-dedans d’elles
attiédi de soleil et bâillant largement
« tout est accompli » dit l’hiver qui s’efface.
Et comme la ruine de l’hiver est complète
ce « tout »
que rien n’altère
se fait neuf au cœur du printemps.

6.
Définir la nature d’un verre
c’est dire qu’il est
ce « vide » contenant et l’eau et la boue.

7.
Silence au bord de naître
qu’avec des mots
un nombre infini de fois
j’ai massacré.

Je n’étais pas conscient de mon crime
mais le châtiment infaillible est tombé.
Mes mots
n’ont su engendrer
le silence.
Cette musique qu’est le silence.

8.
Du bassin de la cascade bondit un dragon géant.
Il gagne le ciel et devient divinité. Divinité du tonnerre.
À toutes les existences qui s’enchaînent sans fin
il accorde l’élan qui pousse à se mouvoir.
Accordant aux peintres l’élan qui mène à l’abstraction
de l’abstraction il leur offre les codes.
Accordant aux enfants des motifs de cerfs-volants
des vantardises et des fanfaronnades il leur offre les germes.

9.
Vous tous avec quelle lenteur
vous occupez vos sièges dans le train.
Vous ôtez vos chapeaux vous ôtez vos chaussures vous ôtez
vos ceintures
vous ôtez vos noms vous ôtez vos masques et même vos
visages
pour vous délasser comme immergés dans une source thermale.
Dans ce train que tout est facile
Il paraît qu’un aller simple suffit.
Le train progresse à l’infini.
Sans conducteur.
Le conducteur c’est toi.
Et les rails étincellent flambant neufs.
À l’infini le train court. À l’infini.

(Seiki no kawarime ni shagamikonde, 2001, Shichô-sha)
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Le soleil ? Un miel de figures divines. Avec la même majesté qu'au premier jour de la Création, son nectar coulait au fond du ciel. Le ciel ? Une ruche. Le vent ? Des oeufs étincelants d'abeilles qui, au sortir de cette ruche, se disséminaient de tous côtés, selon un itinéraire fixé. Et moi m'éparpillant partout, dans leur sillage.


Extrait de "Le corps odorant de cette femme ou ma rencontre avec une folle" (Kanojô no kaoru nikutai matawa watashi no deatta kyôjo)
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La mer est-elle froide encore ?
Et le vent ─ qu'attend-il pour se mettre à flamber ?
La lumière pourtant s'est faite panthère agile
et les nuages ─ du doigt ─ creusent une brèche dans l'anse des souvenirs

Quand au-dedans de l'homme
le printemps commence à faire peau nette
avec un temps de retard
sur terre à nouveau
revient la couleur verte


La mer est-elle encore... (Umi wa mada)
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Dans les temps de malheur, plus on vous tourne en ridicule, plus il faut garder le sourire. J'ai donc appris à cultiver mon sourire. Oui, je me suis fracassé le front contre un rocher, oui, mes cheveux ont été arrachés jusqu'au dernier, mais même alors mon sourire se reflétait toujours à la surface des roches. C'est ainsi que je suis devenu un homme-roche.

L'homme-roche (Iwa no ningen), extrait.
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