A Lou, le jour où elle m’a demandé si elle pouvait écouter des chansons sur mon iPod. Aux fossettes qui apparaissaient sur ses joues tandis qu’elle écoutait à trois reprises en riant tous les morceaux que je lui recommandais. Lou est si jolie. Et quand elle est contente encore plus. Lorsqu’elle a eu fini d’écouter, elle a dit qu’elle pensait qu’aucun garçon ne voudrait jamais l’embrasser. Je lui ai rétorqué que j’étais certaine du contraire. Et que cela allait sûrement se produire bientôt. Elle a voulu savoir ce que j’avais ressenti, la première fois que j’avais embrassé un garçon. « C’était fantastique », j’ai répondu. « Encore bien des ciels au-dessus du septième. » Ca l’a fait rire.
Ils disent qu’il faut savoir maintenir une distance professionnelle quand on est psychothérapeute dans une prison. C’est vrai, bien sûr. Moi, je n’en suis pas vraiment capable. Peut-être que je n’ai même pas envie d’en être vraiment capable.
Parfois il y en a un parmi eux qui est incontournable. Comme Henri. Un beau Congolais qui possède à lui seul le charisme de plusieurs leaders mondiaux.
Je me souviens de la première fois où je l’ai vu. Il entre dans mon bureau, me décoche un charmant sourire. Je lui pose les quelques questions que je pose à chaque nouveau détenu. Il répond en français. Je ne parle pas bien français, j’essaie en anglais. « No English. Français ? » Il sourit de nouveau. Je me débrouille tant bien que mal pour formuler quelques phrases. Il reste patient, réfléchit avec moi, me suggère des mots quand je reste coincée. Je passe au moins trois séances à discuter avec lui dans un français approximatif. Jusqu’à ce que je constate, à l’occasion d’une réunion de groupe, que les autres le regardent en riant sous cape quand il m’adresse la parole. « Allez, Henri, la plaisanterie a assez duré. Avoue que tu parles super bien l’anversois. » Là-dessus, Henri se lance dans une longue histoire en affichant une parfaite maîtrise du néerlandais. Il s’avère qu’Henri parle couramment le flamand, l’anglais, le français et le lingala. En me l’annonçant, il se réjouit pour seize personnes à la fois.
J’avais envie d’aller au collège De Veder, il avait l’air bien. Mon père trouvait que ce n’était pas pratique, il fallait que je prenne le bus tous les jours pour aller en ville. Et il pensait qu’un établissement plus petit, dans la nature en plus, comme notre maison, me conviendrait mieux. Papa n’est pas là souvent, mais soudain le voilà, avec son opinion. Lui, il trempe un seul orteil dans la piscine pour vérifier la température de l’eau. Puis hésite pendant des heures pour savoir si tout compte fait, il va plonger ou non, puis finit par enfiler son maillot de bain mais en définitive ne va pas dans l’eau et fait tout de même des histoires parce qu’il faut qu’il se rhabille. Dans ce tableau, la piscine c’est la vie. Au bout du compte, il a accepté.