Christine Orban s'est immergée pendant deux ans dans la famille des
Pascal et dans l'histoire de Port-Royal.
Elle en a tiré un essai documenté dans lequel elle laisse parfois affleurer sa subjectivité en l'annonçant comme telle : elle n'a laissé à son imagination que le rôle de relier entre elles les innombrables sources écrites (correspondances, essais divers, mémoires) dont elle disposait.
Le résultat en est un récit souvent émouvant et très agréable de lecture.
Dans ses apartés, elle rapproche subtilement, mais sans aller jusqu'à la condamner, la foi janséniste d'une réelle emprise qui fut exercée par ceux qui la diffusèrent ; elle évite de sanctifier
Jacqueline Pascal qui ne sut pas se dépouiller entièrement de ses attachements terrestres en entrant à Port-Royal ; elle suggère l'amour au très léger parfum incestueux de
Blaise Pascal pour sa soeur, tout en le restituant dans son intégrité ; elle décèle avec empathie les déchirements de l'homme au coeur écartelé entre la science et sa foi, entre le monde et Dieu.
Elle nous fait rencontrer les principales figures de Port-Royal : Soeur
Angélique Arnaud,
Antoine Arnaud, le père Singlin, Philippe de Champaigne, le père
Antoine Singlin.
Bien que l'enjeu de
Christine Orban ait été de démontrer à quel point la condition de femme a réduit le champ de réalisation de
Jacqueline Pascal, comme celui de toutes les femmes à presque toutes les époques, j'ai éprouvé le sentiment que
Blaise Pascal occupait la place essentielle de l'essai.
Et pourtant ce n'est pas faute d'avoir souligné les brillantes qualités poétiques de sa soeur cadette (Jacqueline, comme
Anna de Noaïlles plus tard, avait la capacité de s'exprimer en vers spontanément), son intelligence, sa grâce, sa volonté. Dès son plus jeune âge et bien avant son frère, elle sut captiver le monde intellectuel et la Cour, pourtant plus prompts à réfréner les talents féminins qu'à s'en émouvoir.
Finalement, c'est peut-être cet échec en demie-teinte qui est toute la réussite de la démonstration de l'auteure : elle prouve à l'évidence combien il est difficile de faire sortir de l'ombre une femme, si éclatantes que soient ses vertus ; non seulement du fait de l'étroitesse de la sphère dans laquelle elle est confinée, mais aussi à cause du tropisme qui préside, dans tous les esprits façonnés par le même moule réducteur, à la collecte des informations et à leur traitement.
Comme le tournesol se tourne vers le soleil, la mémoire des historien-ne-s se tourne spontanément vers le masculin qui est par convention universelle le principe premier.
L'auteure nous dit "Le Grand Siècle a pesé sur sa destinée. Elle y a laissé son talent", complétant sa réflexion par celle de
Sainte-Beuve dans son "Port-Royal" : les soeurs des grands hommes, "quand elles sont égales sont plutôt supérieures à leur frère illustre".
Comme il ne faut rien exagérer,
Christine Orban conclut : "Jacqueline n'était pas supérieure à Blaise, mais qui sait si, nées à un autre siècle, la soeur de
Shakespeare et celle de
Pascal n'aurait pas égalé leur frère ?"