LE COEUR TROP PETIT
Quand je serai grand
Dit le petit vent
J’abattrai
La forêt
Et donnerai du bois
A tous ceux qui ont froid.
Quand je serai grand
Dit le petit pain
Je nourrirai tous ceux
Qui ont le ventre creux.
Là-dessus s’en vient
La petite pluie
Qui n’a l’air de rien
Abattre le vent
Détremper le pain
Et tout comme avant
Les pauvres ont froid
Les pauvres ont faim.
Mais mon histoire
N’est pas à croire :
Si le pain manque et s’il fait froid sur terre
Ce n’est pas la faute à la pluie
Mais à l’homme, ce dromadaire
Qu’à le cœur beaucoup trop petit.
Jean Rousselot
(p. 217-218)
Le temps des contes
S'il était une fois
Nous partirions à l'aventure.
Moi, je serais Robin des Bois
Et toi tu mettrais ton armure.
Nous irions sur nos alezans
Animaux de belle prestance,
Nous serions armés jusqu'aux dents
Parcourant des forêts immenses.
S'il était encore une fois
Vers le Château des Contes bleus
Je serais le beau fils du Roi,
Et toi tu cracherais le feu.
Nous irions trouver Blanche-Neige
Dormant dans son cercueil de verre,
Nous pourrions croiser le cortège
De Malbrough revenant de guerre.
S'il était encore une fois
Au balcon de Monsieur Perrault
Nous irions voir Ma Mère l'Oye
Qui me prendrait pour un héros.
Et je dirais à ces gens-là :
Moi qui suis allé dans la lune,
Moi qui vois ce qu'on ne voit pas
Quand la télé le soir s'allume,
Je vous le dis, vos fées, vos bêtes,
Font encore rêver mes copains
Et mon grand-père le poète
Quand nous marchons main dans la main.
Georges Jean (1920-2011)
(p. 101-102)
Le petit monde des enfants
Le ciel enveloppe nos jeux ;
Nos cris sont ceux de l'hirondelle,
Un papillon nous rend heureux
Nos bras battent comme des ailes.
En nous le soleil resplendit.
Tous les instants sont des arômes
Le sol reflète un paradis :
Celui de la fée et des gnomes.
Le frais encens venu des tiges,
Du sang végétal et des troncs
Nous donne de joyeux vertiges,
Que les songes étoileront.
Nous sommes des rais de lumière
Pris à l'éclat de la beauté.
Notre regard reste fixé
Sur l'entrelacs de la chimère
Et le cristal des puretés.
ALICE CLUCHIER
(p. 51)
Théophile Gautier :
Premier sourire de printemps
Tandis qu’à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
II repasse des collerettes
Et cisèle des boutons-d’or.
Dans le verger et dans la vigne,
II s’en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l’amandier.
La nature au lit se repose ;
Lui, descend au jardin désert
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
Tout en composant des solfèges
Qu’aux merles il siffle à mi-voix,
II sème aux prés les perce-neige
Et les violettes au bois.
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l’oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d’argent du muguet.
Sous l’herbe, pour que tu la cueilles,
II met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d’avril tournant la tête,
II dit : « Printemps, tu peux venir ! »
(p. 80-81)
Tu dis...
Tu dis sable
et déjà
la mer est à tes pieds
Tu dis forêt
et déjà
les arbres te tendent les bras
Tu dis colline
et déjà
le sentier court avec toi vers le sommet
Tu dis nuages
et déjà
un cumulus t’offre la promesse du voyage
Tu dis poème
et déjà
les mots volent et dansent
comme étincelles dans ta cheminée
// Joseph-Paul Schneider (1940- 1998)
Ô la Paix
et les hommes libres sans pays ni frontière
et l'espoir de vivre étreignant notre terre
Gabriel Cousin
(p. 53, fin du poème Automne)
L’oiseau-cage
De ce brillant plumage
Faisons vite un oiseau
Un bel oiseau tout rond
Qui sera notre cage
Un grand avion vivant
Calfeutré comme un cœur
Tous ceux que nous aimons
Seront à l’intérieur
Et par vaux et par monts
Nos voix à l’unisson
Clamerons l’allégresse
De cet oiseau géant
Dont nous serons le chant
//Marcel BÉALU (30/10/1908 - 19/06/1993)
Le miroir et la petite fille
Le miroir a plus de cent ans.
Sa peau de glace est tachetée
Comme le front ridé des vieilles
– Petite fille magique,
Dit le miroir,
Peux-tu me rendre ma jeunesse ?
– Excusez-moi, dit la petite fille,
Vous devez faire erreur.
Dans mon pays,
Ce sont les miroirs qui sont magiques.
Je ne peux rien pour votre jeunesse,
Mais j’aimerais bien devenir princesse.
Michel Luneau
(p. 153)
Le secret
Écoute mon enfant
les verts secrets des branches
et ceux de la sève
qui irrigue l’arbre
Regarde danser l’abeille
perce le secret de cet alchimiste
qui transforme en miel
la poudre d’or des fleurs
Mets ton oreille
contre la mousse du rocher
pour capter le grand secret
des pierres
Cours vite à la mer
et laisse-toi bercer
par le secret du chant
des vagues
// Joseph-Paul Schneider (1940- 1998)
Lumière
Il faut
il faut mon enfant traverser
la rivière, le fleuve, la mer
pour voir
pour comprendre
qu’au-delà de la rivière, du fleuve, de la mer
un autre enfant est là
qui, comme toi, rêve et poursuit
cette lumière
que tu ne peux
ni apprendre, ni apprivoiser
qui se dérobe même à la course
des grands navigateurs
// Joseph-Paul Schneider (1940- 1998)