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Critique de HordeDuContrevent


Des soins de pieds aux soins de l'âme…

Ce livre pourrait passer inaperçu, avec son petit format, ses couleurs pastel discrètes, et son histoire si simple, celle de la reconversion d'une femme écrivaine en pédicure. Pas de quoi casser trois pattes à un canard pourraient penser certains, et pourtant… « Merzahn, mon amour » est un livre touchant, tendre et poignant qui illumine les relations de soin et d'attentions tissés entre Katja, devenue pédicure donc, et ses patients et patientes au coeur du quartier de Marzahn, la plus grande cité d'immeubles en préfabriqués dans l'ex-RDA. de ces vies ordinaires et simples, de ces gens âgés pour la plupart, cabossés ou malades pour d'autres, dont la femme écoute patiemment la voix pendant la séance de soin, émerge le merveilleux, l'humanité incrustée dans les tranches d'histoire, celle de l'avant et de l'après réunification. Katja, par son écoute patiente, son dévouement, soigne les pieds mais aussi l'âme de ses patients.

Ce livre est un bijou, un petit soleil, une parenthèse enchantée de bienveillance et d'humanité, un livre simple qui se lit d'une traite et qui apporte beaucoup de chaleur, comme savent souvent nous offrir les éditions Zulma.

Si j'ai bien compris, cette expérience de reconversion est véritablement celle de cette auteure, Katja Oskamp qui, en mars 2015, alors que son manuscrit a été une nouvelle fois refusé par différents éditeurs, décide de participer à une formation de pédicure. Elle est entre deux âges, au mitan de sa vie, elle décide de devenir pédicure pour que, quitte à devenir invisible à cet âge, autant pouvoir être libre de faire ce qu'on a envie. Et elle, son désir, c'est de soigner ce qu'il y a de plus intime chez l'autre : les pieds. Soin hautement symbolique, les pieds étant ce qui permet de marcher, de se dresser ; et le soin procuré aux pieds étant un soin quasi christique d'une humilité absolue. Avec son diplôme en poche, elle va rejoindre le cabinet d'esthéticienne de son amie Tiffy dans ce quartier populaire de Marzahn à la périphérie de Berlin. Commence alors la ronde des clients. Un chapitre, un client, une consultation et une tranche de vie.

« Herr Paulke est l'un des premiers à avoir emménagé là, il habite le quartier depuis 1983 : un autochtone de Marzahn, un prolétaire, aujourd'hui un vieillard, mais avec un savoir-vivre qui lui colle à la peau, faisant des blagues fatalistes et arborant de l'humilité face aux ravages de l'âge. Une pagaille asymétrique domine son visage : strabisme, verrues, tâches de vieillesse, dentier courbé et de travers, un méli-mélo datant de différentes époques. Les genoux totalement esquintés. Arthrose. Lors du premier contact quand je les ai mis dans l'eau et les ai lavés, ses pieds m'ont épouvantée. Puis je n'ai pas tardé à les aimer. Ses pieds étaient bouffis, la peau brunie et écailleuse, sillonnée de milliers de veines violacées aux trajectoires aléatoires. On aurait dit des pierres érodées ».

Au fil des dix-huit chapitres, Katja nous présente l'état des pieds de chaque client, leur histoire et, à chaque chapitre, part belle est faite au quartier qui se colore peu à peu sous nos yeux. Les simples et laides tours se parent de végétation, de vie, de cris d'enfants, d'échange. Construite à l'époque comme une cité idéale, nous voyons en effet au-delà du côté aseptisé auquel elle nous fait penser de prime abord. C'est un hommage rendu à ce quartier qui devient beau sous la plume de Oskamp, un hommage qui vient du coeur, un véritable cri d'amour pour cette cité habitée par des gens simples.

« Je compose un hymne à Marzahn et ses habitants, à ces gens qui y ont déménagé il y a quarante ans et qui terminent courageusement leur vie avec un déambulateur, un appareil à oxygène et le minimum retraite, qui ne parlent à personne parfois pendant des jours entiers, qui nous vident leur coeur assoiffé quand ils viennent à l'institut, qui s'abreuvent avec reconnaissance à chaque geste de tendresse et qui sont heureux dans ce lieux où ils ne sont pas considérés comme les débiles de la nation ».

Les citations disent mieux que ce que je pourrais tenter d'expliquer. Un livre qui fait du bien en ces temps troubles où nous recherchons où se terre l'humanité. Ce livre en est remplit, à ras bord. Sans mièvrerie ni pathos, l'auteure s'effaçant derrière les habitants, les rendant dignes, beaux, tout simplement humains, une fois leurs peaux mortes délicatement enlevées par l'habileté pétillante de l'auteure.

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