Faire un canot est une chose, mais construire une telle embarcation en est une autre. Ours-Têtu lui-même le reconnaîtrait. Dans son canot d'écorces cousues de watap résineux, il longeait les flancs salés de la voiture d'eau capable de traverser le Grand Lac en captant le vent dans ses voiles. Il était dépassé. Parachuté dans un autre univers : celui des Visages-Pâles. Univers qui sape le sol des forêts pour y substituer les rues de cette ville où le transport des hommes et des marchandises est parfois effectué par des chevaux.
Sifflement; la peur se mue en rage. Claquement; la douleur devient une arme qu'il retourne contre ceux qui la lui infligent. Non, il ne criera pas. Non, il ne flanchera pas. Un jour, il ramènera à Isabelle de la farine toute blanche.
Chaque famille s'est réservée un endroit, et aucune n'empiète sur celui de l'autre, bien qu'il n'y ait pas de cloison et que les dimensions soient restreintes. Un grand respect règne sous ce toit.
Respect des uns envers les autres, respect du feu, respect de la nourriture, respect du manitou du Nord qui s'offense de voir leur porte orientée dans sa direction.
Il a beau se répéter qu'en l'absence de récipient, c'était le moyen par excellence de boire ce précieux liquide sans en perdre une goutte, cela n'efface pas le plaisir qu'il y a pris. Un plaisir charnel et profond dont les racines s'enfonçaient très loin en lui.
En lui, la haine a déferlé et déferle encore, vague après vague, poussée par le vent de la colère. Cette colère immense qui le gruge.
La liberté d'action et la possibilité d'un commerce plus que lucratif semblaient remonter le courant, devançant ainsi leur progression. Aller en amont devenait de plus en plus difficile, mais de plus en plus prometteur. En-Haut, ils seraient, non pas des nobles, mais des rois. Et des pelus, ils pourraient en obtenir à profusion en violant les lois sans danger aucun.
En amont, c'était le paradis accessible par l'enfer. Suffisait de s'y rendre pour faire le pied de nez aux d'Ailleboust que les autorités n'importunaient pas, ainsi qu'au « p'tit homme du Diable » que les mêmes autorités ne pouvaient importuner. En amont, ils iront comme les cinq doigts d'une même main, attirés par le rêve et poussés par la nécessité. En amont, ils seront des rois.
Les missionnaires n'ont d'emprise que sur les convertis... Et encore, pour les convertis, entre l'eau bénite et l'eau-de-vie, le choix est point difficile.
Cette pierre fait merveille pour guérir les ulcères et les tumeurs. On dit qu'elle possède le secret de guérir le mal incurable, mais le mal incurable n'est pas dans la chair des hommes. Il est dans leur esprit.
Et notre esprit aussi nous détruit. Notre esprit est différent de l'esprit des animaux... Eux sont sages. Kondiaronk disait que notre esprit était la cause de nos malheurs. Cela est juste. Je ne connais pas d'ours ou de loups qui se réunissent pour faire la guerre à d'autres ours et à d'autres loups...
— Tu dis qu'elles sont précieuses, ces pierres ?
— Précieuse comme la vie...