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Critique de enjie77


« D'où m'est venue l'idée que moi, Ivan Cardenas Maturell, je voulais écrire et même peut-être publier ce livre ? D'où avais je sorti que dans une autre vie lointaine, j'avais prétendu et cru être écrivain ? L'unique réponse à ma portée était que cette histoire m'avait poursuivi parce qu'elle avait besoin que quelqu'un l'écrive. Et cette sacrée garce m'avait choisi moi, justement moi ! »

La Havane en 2004. Ivan regarde les fossoyeurs descendre, avec désinvolture, le cercueil d'Ana dans la fosse ouverte. Ana, si essentielle à l'existence d'Ivan. Ana pour qui vivre était devenu un enfer. Ana qui s'était battue jusqu'au bout de ses forces, venait enfin d'obtenir ce qu'elle et lui avait tant souhaité et que murmurait le Pasteur « Repos et Paix ».
C'est toujours Ana qui avec sa force de conviction, après avoir lu les quelques feuillets, qu'Ivan avait écrits sous une subite impulsion, puis mis de côté, sans parvenir vraiment à retranscrire, tétanisé, le souvenir de ces différentes rencontres qui avaient débuté au printemps 1977 avec l'homme qu'Ivan avait surnommé « L'homme qui aimait les chiens ». Donc, Ana lui avait dit « qu'elle ne comprenait pas comment il était possible que lui, justement lui, n'ait pas écrit un livre sur cette histoire que Dieu avait mise sur son chemin. Ivan lui fit la réponse qu'il avait tant de fois éludée mais la seule qu'il pouvait donner « Je ne l'ai pas écrite parce que j'avais peur » !

Léonardo Padura nous offre un livre remarquable que je ne suis pas prête d'oublier. Sous la forme d'un thriller de six cent cinquante pages, il nous raconte l'endoctrinement et la préparation d'un individu éduqué dans le seul but d'assassiner un autre être humain, Lev Davidovitch Trotsky. Ce dernier mourra des suites de cette agression à l'Hôpital de Mexico, le 22 août 1940.

La construction du roman est conçue de façon à ne jamais lasser le lecteur, bien au contraire, celui-ci tourne les pages avec avidité, impatient de découvrir la suite. Les chapitres sont alternatifs et sont divisés en trois récits distincts mais qui finiront pas se recouper. On assiste à l'ascension en politique de Trotsky, puis à son exclusion et enfin à ses différents exils, pourchassés par la haine de Staline. Un autre récit relate l'histoire de Ramon Mercader, recruté par les agents de Moscou, dans le camp républicain lors de la guerre civile espagnole, et l'impact qu'à eu sa mère, Caridad Mercader, sur la destinée de son fils.

Et enfin Ivan, personnage fictif mais essentiel à la narration, cubain, écrivain émasculé par la censure cubaine qui va être amené à rencontrer « L'homme qui aimait les chiens » et qui, pour qui, pourquoi, à force de conversations intimes, gravement malade, va lui confier son histoire. Une histoire faite de haine, de souffrance, de manipulation, de crime, une véritable plongée au coeur des ténèbres, vision sinistre des machinations élaborées par des hommes. Ivan, dans ce Cuba où l'homme est tout particulièrement contrôlé, où la misère se faufile partout, va se sentir étouffer de peur sous le poids de ses révélations.

Et heureusement, il y a les chiens, ce fil rouge qui unit ces hommes. le chien qui est le symbole de la fidélité jusque dans la mort, guide de l'homme pendant le jour jusqu'à la nuit de la mort.

Au cours de son premier voyage au Mexique, l'auteur a visité, à Coyoacan, la maison fortifiée de Lev Davidovitch Bronstein dit « Trotsky ». Devant son ignorance quant à l'histoire de l'ex-dirigeant bolchevick, Léonardo Padura a ressenti le besoin de s'intéresser de plus près à la destinée des acteurs de ce crime.
Bien que ce récit soit basé à la fois sur l'Histoire de l'Union soviétique mais aussi sur certaines supputations, l'auteur ne laisse rien au hasard, tout est parfaitement maîtrisé lorsque l'on s'est intéressé à la personnalité de Staline. La paranoïa, la manipulation, les purges, les procès truqués, tout y est décrit avec précision et clarté. Ce fut un long travail, quinze ans d'étude, de recherches, à la fois pour s'appuyer sur ce que l'on sait avec certitude mais aussi pour envisager un récit spéculatif qui puisse conserver toute sa cohérence dans l'histoire dramatique de l'utopie du XXème siècle. Léonardo Padura s'est aussi appuyé sur la vie de Ramon Mercader racontée par son frère, Luis Mercader, avec l'aide du journaliste German Sanchez.

Au cours de ma lecture, j'ai retrouvé un passage qui fait référence « au complot des blouses blanches », de Jonathan Brent. J'ai ce livre dans ma bibliothèque. J'ai du renoncer à sa lecture tant j'ai trouvé la narration touffue.

On peut aussi retenir la leçon que dégage ce livre, je dirai sa quintessence, « ne jamais perdre son esprit critique ».
Ce fut un réel plaisir que cette lecture, instructive et passionnante, une plongée dans l'enfer de l'Union Soviétique et le mode d'emploi pour créer un assassin convaincu de la nécessité de son crime. Absolument mémorable!

« Ces dix années furent aussi celles qui virent naître et mourir les espoirs de la perestroïka et, pour beaucoup, celles qui plongèrent dans la stupeur, provoquées par les révélations de la glasnost soviétique, par la découverte des vrais visages de personnages comme Ceausescu, et par le changement d'orientation économique de la Chine, avec la divulgation des horreurs de génocide de la Révolution culturelle menée au nom de la pureté marxiste. Ce furent les années d'une rupture historique qui changerait non seulement l'équilibre politique du monde mais jusqu'aux couleurs des cartes géographiques, jusqu'aux vérités philosophiques et, surtout, qui transformerait les hommes. Ces années furent celles où on traversa le pont qui menait de la croyance enthousiaste en une amélioration possible à la déception devant le constat que le grand rêve mortellement touché et qu'en son nom, on avait même commis des génocides, comme dans le Cambodge de Pol Pot. Ce fut le temps ou se concrétisa la grande désillusion ».


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