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Critique de ZeroJanvier79


Je poursuis ma découverte de l'oeuvre littéraire de Martin Page, après l'excellent Manuel d'écriture et de survie et le sympathique Comment je suis devenu stupide. Il s'agit cette fois d'un roman publié en 2016 et dont le titre L'art de revenir à la vie est une jolie promesse. le résumé lui aussi était prometteur :

Martin vient d'avoir 41 ans. Il se rend à Paris pour rencontrer une productrice qui souhaite adapter un de ses romans au cinéma. Logé chez un ami artiste, il découvre la dernière oeuvre de celui-ci, une curieuse « Machine à remonter le temps ». Il s'y glisse et s'y endort. le temps d'une nuit, le voilà revenu 29 ans plus tôt, face à un double de lui-même âgé de 12 ans.

Le lendemain, il retrouve la productrice pour discuter de l'adaptation de son roman. Mais très vite, tout déraille.

Chaque nuit que compte ce séjour parisien où rien ne se passe comme prévu, Martin et son jeune-moi poursuivent leur conversation. Tout en lui révélant une partie de son avenir, le quadragénaire cherche à donner des conseils à l'adolescent, il veut l'aider et lui éviter les expériences douloureuses. Mais la relation se complique : ce jeune double a l'esprit de contradiction et ses remarques poussent Martin à se remettre en question. Vie rêvée et vie réelle deviennent aussi déstabilisantes et excitantes l'une que l'autre.

À la fois décalé, drôle et profond, le nouveau roman de Martine Page est aussi une réplique au pessimisme et une défense de l'imagination comme arme existentielle.

J'ai retrouvé assez vite le style de Martin Page tel que j'avais pu le percevoir dans Comment je suis devenu stupide. L'humour est omniprésent, parfois subtil, parfois plus frontal ; mais derrière ces mots d'esprit et ces situations cocasses se cachent des réflexions plus profondes sur la société et la condition humaine.

Le héros est un écrivain qui vient de dépasser les quarante ans, ancien parisien exilé dans un village belge avec son compagne et son fils âgé de quelques mois. le narrateur est ici clairement un avatar de l'auteur. A l'occasion d'un séjour parisien pour travailler avec une productrice sur le scénario d'un film adapté d'un de ses romans, il s'installe quelques jours chez un ami artiste. Dans cet appartement, il découvre la dernière oeuvre de son ami : une sorte de canapé-sarcophage que l'artiste a nommé « Machine à remonter le temps ». Un soir, le narrateur s'installe dans cet étrange dispositif et se retrouve face à face avec lui-même, âgé de douze ans. C'est le prétexte pour que l'auteur et le narrateur s'interrogent sur sa vie, sur ses réussites et ses échecs.

Quand on arrive à l'âge de 40 ans, une question se pose, en tout cas c'est une question que mes amis et moi nous nous posons après quelques verres de vin : comment a-t-on fait pour s'en sortir ? On a échappé au suicide, aux accidents et à la maladie. On se sent comme un rescapé. Et, dans le même temps, on comprend qu'il faut vivre, travailler et aimer comme jamais. On est un survivant en sursis, et il n'y aura jamais rien de mieux que cet état de fragilité, parce que le contraire de la fragilité ce n'est pas la force, c'est la mort. C'est tout à la fois déprimant et exaltant.

Si les mésaventures parisiennes de Martin avec sa productrice de cinéma m'ont laissé de marbre malgré l'humour de certaines situations, la relation avec son double pré-adolescent m'a beaucoup plu. Au début, Martin adulte cherche à donner des conseils à son double enfantin pour l'aider à traverser les épreuves qui l'attendent et qu'il ait une vie plus facile. Mais la situation finit par s'inverser, avec l'enfant qui a aussi des leçons à donner à l'adulte qu'il est devenu. C'est une belle façon de mettre en lumière les différences entre l'enfance et l'âge adulte, sans idéaliser l'un ou l'autre.

Mon jeune-moi m'inspire. Il ne fait pas de concessions. Il ne flanche pas. Ce qui est magnifique dans la jeunesse et ce qui crée une nostalgie pour cette période, ce n'est pas l'innocence ou l'insouciance, toutes ces bêtises, ce ne sont pas non plus la peau souple et les énormes goûters au chocolat. C'est l'éthique. Certains adultes se plaignent des jeunes adolescents pour une seule raison : parce que ceux-ci ont souvent raison. Ils leur rappellent leurs compromissions actuelles, ce qu'ils nomment dans la novlangue caractéristique de l'âge adulte le « réalisme ». Les adultes renvoient les comportements adolescents à un définitif : « C'est les hormones », ça leur permet d'oublier qu'eux-mêmes se sont assagis et désensibilisés sous la pression non pas de la biologie, mais de la vie en société.

Je n'aime pas l'expression « leçon de vie » mais c'est tout de même celle qui m'a vient à l'expression pour décrire ce livre. Il n'est pas parfait, certains passages m'ont semblé dispensables, mais j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire et je l'ai trouvé très beau par ce qu'il raconte et les idées qu'il véhicule. Par rapport à Comment je suis devenu stupide mais était un livre intelligent mais qui finissait par lasser une fois l'idée de départ assimilée, celui-ci tient totalement ses promesses.

Je ne pense pas que je sois un héros comme le voulait mon double. J'en suis loin. Mais cette ambition est comme une luciole qui m'accompagne. Je n'aimerais pas être à la place de quelqu'un qui pense que les livres ne changent pas la vie. J'écris pour essayer de sauver les autres. Non, je rectifie : j'écris pour me sauver moi-même. Peut-être que ce n'est pas contradictoire. Une chose est sûre : c'est le signe d'une ambition démesurée, sans doute d'une certaine folie. Tant mieux. On est vivant pour ne surtout pas être raisonnable. J'ai toujours pensé qu'on sauvait par des gestes furtifs et des actes improuvables. Il s'agit de rendre les fantômes fiers de nous.

[...] J'ai 12 ans, et toute ma vie sera un combat pour défendre cet âge.
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