Citations sur Sale gosse (82)
Marc Winzembourg n'était pas ce qu'on appelle un type inquiet. Il avait ce truc rassurant qu'ont les héros dans les films pour enfants, la conviction que la pire des situations n'est jamais perdue...
En conclusion, Marc avait écrit : "L'impulsivité de Madame, mélangée aux différentes prises de toxiques du couple, vient attiser la braise existante. L'incommunicabilité génère des crispations des deux côtés. Dans ce contexte, Wilfried est exposé à un climat de violence récurrente."
Au stylo noir, la juge nota :
- Couple inconsistant. Nécessité de placement.
- Qu'est-ce ça change, en vrai ?
- Comment ça, qu'est-ce que ça change ? C'est ton avenir. ça change tout.
L'avenir, vous pouvez le prendre par tous les bouts, face à un gamin de seize ans qui a décidé de vivre au jour le jour, c'est un mot qui ne veut rien dire.
L'enfant finit par comprendre qu'il ne doit pas s'attacher s'il ne veut pas souffrir. A chaque fois que ça se passe bien avec un adulte, une petite voix lui dit :"Attention, te détends pas, sinon le jour où ça va te péter à la gueule- et il est certain que le jour viendra- tu vas morfler." Donc il saborde la relation.
Pour échouer, il faut avoir essayé...
Wilfried chercha à toute vitesse des souvenirs heureux avec Thierry et Anna. L’image de Thierry appelant le commissariat lui revenait comme un cauchemar. Il s’arrêta avant que la tristesse ne l’envahisse. A force d’y penser, il finirait par se convaincre de n’avoir jamais été aimé.
- Admettons qu’ils faisaient ça pour la thune, exposa Wilfried. Pourquoi ils auraient engagé les démarches pour m’adopter ?
Viviane écarquilla les yeux.
Elle termina sa clope, écrasa le mégot à côté du précédent, et dit :
- Alors, peut-être que t’es une putain d’exception, le seul orphelin qu’on a aimé gratuitement.
Trois semaines plus tard, un bus se gara devant le foyer. Cinq jours de camp dans les Pyrénées.
- Qu’est-ce qu’on va foutre là-bas ? y’a même pas de neige, j’suis sûr, grommela Wilfried.
- On était mi-avril, une chaleur anormale avait replié les pulls dans les armoires.
- - T’as vu les Pyrénées, une fois dans ta vie ? lança Dounia. Alors, tu la boucles. Je fais ça pour vous, hein, moi je connais et je suis pas payée plus cher à perdre mon week-ends pour vous éloigner de la cité.
Wilfried vomissait ces phrases : « Je m’en moque, moi, je l’ai, le brevet. », « Ma carrière, elle est derrière moi. Vous voulez passer pro ? Quand je vous vois, j’en doute. J’en doute vraiment. »
Driss était trop intelligent pour croire à l’école. Dernier d’une fratrie de huit, il observa les grands, et monta son business de streetwear. Il avait douze ans, il était en cinquième, et passait son temps à répéter :
- Demande-moi ce que tu veux, mais ne cherche pas à savoir d’où ça vient.
La came venait d’un Rebeu de Clignancourt. Driss faisait l’aller-retour avec son frère chaque week-end et se pointait le lundi au collège avec des sacs de sport pleins à craquer de pulls sous plastique et de chaussures dans leurs boîtes.
Marc avait failli quitter la PJJ. C’était en 2010, quand la France dissertait sur l’impunité des mineurs, le retour du couvre-feu et les ados d’un mètre quatre-vingts qu’on devait pouvoir juger comme des adultes. La question revenait immanquablement et elle le mettait hors de lui : « Si on les met pas en prison à la cinquième condamnation, on en fait quoi ? »
Selon Romane, la téléréalité nous avait fait entrer dans une ère d’exclusion.
- Le concept de la Star Ac’, Secret Story et toutes ces daubes, c’est d’exclure ceux qui vivent parmi nous. Qu’est-ce qu'on fait, aujourd’hui, avec un gamin qui dérange ? On l’exclut de cours. Puis, on l’exclut du collège. Et quand il arrive chez nous avec son étiquette de délinquant, on nous dit : « Enfermez-le, il faut protéger la société ! »
Wilfried prit une grande inspiration. Tomo ne comprendrait pas qu’il ait détruit le visage d’un mec pour un « fils de pute » et un crachat sur ses crampons.
- Le gars m’avait taclé la cheville, c’éatit la deuxième fois qu’il arrivait en retard…Sans mes protèges, il m’arrachait le tibia…
- Quelle équipe ?
-Le Mans.
Wilfried était incapable de soutenir son regard. Cela faisait dix ans qu’ils se connaissaient mais cela ne changeait rien. A quarante piges, devant ce vieux Croate, il continuerait de baisser les yeux.