( en visite pour la 1 ° fois dans le pays d'origine ...)
Ce à quoi nous ne nous attendions pas : des mains brunes comme les nôtres qui se tendent vers nous pour quémander. " Un dollar, mademoiselle, un dollar s'il vous plaît", claironnent les enfants en anglais en nous suivant dans la rue. Certes, nous avions pensé voir des cabanes aux toits en tôle ondulée, mais nous ne nous attendions pas à ce que certains membres de notre famille y habitent.
Nous lisons les panneaux dans les vitrines du supermarché : SANSGLUTTENSANSLACTOSEPALEOBIO . Autant dire complétement fadasse, pensons-nous. Sans parler de la contrainte. Mais comment font ces gens sansgluttensanslactosepaleobio, nous demandons-nous, pour voyager dans des pays où la nourriture s'achéte dans la rue, se cuisine dans des woks ou sur des barbecues devant vous, se vend sur le siége arriére d'une moto ou devant la vitrine exigüe d'une tienda ou d'un sari-sari tenu par une grand-mère ?
Et l'autre jour, on lisait une nouvelle dans mon cours de littérature. Et le personnage principal était une femme noire. Vous pouvez me dire POURQUOI ma prof s'est tournée vers moi et m'a demandé, genre : " Eh bien , Angélique, que penses-tu de ce portrait ? J'ai failli la claquer, c'est moi quivous le dis."
Lorsque nous prenons le métro "en ville", nous remarquons que les rames sont climatisées, équipées de cartes électroniques dernier cri indiquant le moyen le plus facile de voyager du point A au point B ; nous remarquons aussi qu'il n'y a jamais de problèmes dans Manhattan sur ces lignes comme c'est le cas dans notre quartier - et pourquoi c'est comme ça , bordel ?
Pourquoi avoir cru que chez soi se résumait à un seul endroit ? Alors qu’exister dans ces corps signifie porter en soi plusieurs mondes ?
Songeons : Combien d'étudiants ont réussi grâce à l'argent de leurs parents à entrer dans ces universités prestigieuses où les frais de scolarité sont équivalents , voire supérieurs, aux revenus annuels d'un foyer dans notre quartier.
Patrimoine.
Nous enduisons nos visages de produits, devenons de plus en plus claires, jusqu' à ce que nous soyons blanches comme des lys. Ou des os. Voilà. Belles.
Sayonara, New York ! lançons nous, je me tire d’ici ! Et partir ne attriste pas le moins du monde. Certaines vont dans l’unique université vraiment prestigieuse de notre ville à une dizaine de stations de métro - autant dire à des années-lumière de chez nous. Nous arrivons dans des coins du pays - voire dans un quartier de notre propre ville dont nous ignorons tout.
Nous sommes les descendantes de ses prétendus peuples sauvages, comprenons nous, pour la première fois. Colonisés, changés à jamais et pourtant encore là. A nos yeux; ces sites, ces goûts, ces histoires ne sont pas contradictoires, incohérentes. Filles à la peau brune, filles à la peau brune, filles à la peau brune, qui au fonds d'elles, commencent à saisir qu'elles sont la somme de nombreuses identités, de nombreuses histoires en même temps.
Les colonisés, les colonisateurs. Dans quel camp sommes-nous ? (p142)
( En voyage dans leurs pays d'origine ...)
" Comment ça, tu n'as jamais appris la langue ? " est une question qu'on nous pose constamment. " Tu es pratiquement sourde et muette ici. " Aussi sévéres que soient ces paroles , elles sont vraies et nous baissons la tête.