De l'Espagne franquiste, Antonio Pablo Luna Coll passait donc à la France de Maginot. En 1939, après la déroute des républicains, la chute de Barcelone, celle de Minorque, commença l'exode de 400 000 Espagnols vers la France. C'en était terminé de la guerre civile. 600 000 morts, poussière d'os d'une guerre-éclair. Franco et l'Eglise, l'armée et la Phalange pouvaient régner pendant une quarantaine d'années. (p. 31)
Les Bretons préfèrent les étrangers aux Français quoique les Français soient AUSSI des étrangers pour les Bretons. Disons que les étrangers "d'ailleurs" leur changent les idées qu'on dit fixes (...).
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Dans l'air sépulcral, la 2 CV camionnette démarrait avec un drôle de bouton placé à la droite du volant. Il fallait le tirer entre l'index et le majeur en pompant d'un pied énergique la pédale d'embrayage. Nous eûmes le même souci, plus tard, avec une Ami 6. La voiture toussait comme un phtisique et réveillait tout le quartier. Sofinco, notre teckel irascible - douze ans et pour sobriquet le nom d'un organisme de crédit - gueulait comme une truie qu'on égorge tandis que Nicole Le Bihan, notre voisine, ouvrait ses volets en hurlant. Maritorne rousse à l'ample poitrine, la quarantaine sévère - mère d'une demi-douzaine de dégénérés mâles et femelles qu'elle avait eus d'un ancien teinturier qui s'était jeté sous le car Quimper-Pont-l'Abbé un matin, on le comprend, où sa tristesse avait pris le pas sur les maigres joies conjugales -, Nicole n'avait pas d'adversaire de sa trempe dans l'art de l'insulte. Mais Sofinco, tout excité, continuait de plus belle dans les aigus stridents. Quant à mon père, casquette vissée sur la tête, gitane au bec, il filait doux.
Les Parisiens, les Parigots. L'été, dès que Marcel apercevait une voiture immatriculée 75, son sang ne faisait qu'un tour. Aux halles, il les attendait de pied ferme, les insultait quand ces incultes lui posaient la sempiternelle question:"Ils sont du jour vos cabillauds?", à quoi il répondait invariablement: "Et ta morue, elle est du jour?"
"Il y avait trois jours de marché importants: le mercredi, le vendredi et le samedi, qui était le jour J, opération Overlord, débarquement des vieilles, des mères de famille qui chargeaient leur panier ou caddie pour le fameux déjeuner du dimanche(...)"
Marie se maria dès l'âge de dix-huit ans avec un clerc de notaire de cinq ans son aîné. Ils s'installèrent à Brest dans un petit pavillon charmant. Ils divorcèrent trois ans plus tard.
C'est alors que je réapparus, après quelques déboires sentimentaux. Son cerveau était un véritable courant d'air. C'est sans doute pour cela que je l'aimais puisque, par la suite, il s'avéra que je fus toujours attiré par le vide.(p.57/58)
Pour tout dire, mon père n'eut jamais le virus ni du fruit ni du légume, encore moins celui du commerce. [...] Disons qu'il continua l'oeuvre de mon grand-père comme un fils de militaire perpétue la tradition sans y croire. C'est parce que les curés n'ont pas d'enfants qu'ils sont en perte de vitesse. Chaque profession se reproduit comme des animaux. (p.29)
"La gangrène des hyper- et supermarchés, des "centrales", comme on disait à l'époque, devenait la mérule qui rongea le bois des étalages du petit commerce, faisait tinter le glas de ce que nous fûmes(...)"
Les Bretons préfèrent les étrangers aux Français quoi que les Français soient aussi des étrangers pour les Bretons.
Les cageots étaient soigneusement rangés les uns contre les autres et les légumes artistiquement placés façon impressionniste. Le rouge des tomates tout humides de rosée faisait ressortir le corail des poivrons. Le jaune paille des oignons associé au vert des concombres, au pédoncule des aubergines, vision pastorale d'un sentier automnal. L'orange coriace des carottes en bottes côtoyait le mauve violacé des betteraves cuites et le noir terreux des radis à peine sortis de terre. Fabuleux architecte, grand-père peignait des natures mortes.