AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de fabienne2909


« Vous le savez très bien, ça, madame, vous le savez très bien. Vous savez bien, madame, que si votre nom a été francisé, c'est pour faciliter votre intégration dans la société française. »
L'intégration, grand terme important pour la nation française, qui repose sur de minuscules détails administratifs paradoxaux : la francisation du prénom obligatoire pour les personnes d'origine étrangère. Comme si cela faisait tout (alors qu'en comparaison on ne vient pas remettre en cause l'appartenance à la France des enfants nés sur le territoire français et portant un prénom étranger)…

Bref, je ne suis pas venue parler de politique, mais de « Tenir sa langue », un roman (une autofiction ? Cela n'est pas revendiqué par l'autrice) écrite par Polina Panassenko, que j'ai trouvée très touchante dans sa réflexion sur sa double identité, sur ce qu'on choisit pour sa nouvelle identité quand on arrive dans un pays étranger alors qu'on ne veut rien abandonner de ses origines, source de nombreux déchirements qu'elle explique très bien.

Polina, arrivée à l'âge adulte, ne souhaite plus avoir à choisir et son cheval de bataille, c'est son prénom, devenu Pauline en cours de route. Elle est Polina, elle se sent Polina, et elle souhaite, elle exige, que la France le reconnaisse sur ses papiers d'identité, raison pour laquelle elle s'engage dans une bataille administrative kafkaïenne. Avec une rage au coeur qui m'a saisie, et que je ne m'expliquais pas vraiment dans les premières pages de ce texte. C'est vrai que si le prénom est un élément important de son identité, on peut aussi le voir comme une information sur un document officiel. Mais il tient à autre chose pour Polina, ce qu'on comprend au fur et à mesure des pages : ce refus de changement de prénom fait écho à celui qu'a opéré sa grand-mère paternelle, d'origine juive, afin de faciliter la vie de ses enfants dans une Russie pour laquelle les origines judaïques (être « iévreï », mot chuchoté dans la famille, dont Polina cherchera d'ailleurs longtemps le sens) sont une source de honte, quelque chose qu'il vaut mieux cacher. Imprégnés de ce sentiment, les grands-parents maternels de Polina, auprès de qui elle a vécu toute son enfance moscovite, ne s'en sont jamais vraiment ouverts auprès d'elle, ils ont tenu leur langue à ce sujet.

Ainsi, la force du texte de Polina Panassenko se dégage en partie de ce titre, « Tenir sa langue », si polysémique. Celui-ci évoque ainsi un secret des origines, sur lequel toutefois Polina Panassenko ne s'étendra pas plus que cela (ce n'est pas un roman d'enquête à la Daniel Mendelsohn) ; il évoque également, dans un sens plus direct, les efforts de Polina pour apprendre le français, s'adapter à la faune – exotique pour elle – de la maternelle française, mais aussi ceux que sa mère déploiera pour que Polina n'oublie pas sa langue en apprenant le français, ne fasse pas de mélanges hybrides : « Attention, sinon tu vas finir comme les fils Morkovine. Je les ai vus les fils Morkovine. Je sais ce que je risque. […] Arrivés de Saint-Pétersbourg ils ne parlent plus vraiment le russe ni tout à fait le français. Ils cherchent leurs mots. Ils ont un accent bizarre. Des consonnes trop dures, des voyelles trop ouvertes. On dirait qu'ils sont en train de muter. […] Il fallait faire rentrer le français et maintenant qu'il est là on me dit qu'il va me changer en mutant Morkovine. »

Deux langues, deux identités coexistent peu à peu en Polina, et la lutte administrative pour rétablir son prénom d'origine est l'occasion pour elle de nous raconter en alternance son enfance à Moscou, son arrivée en France, le retour en Russie à l'occasion des vacances (en tenant sa langue sur son déménagement, pour éviter le kidnapping), au final ce parcours les pieds posés sur deux pays éloignés l'un de l'autre. Un parcours dans lequel je me suis parfois perdue, où je me suis demandé à quelques occasions (surtout dans la dernière partie) pourquoi Polina Panassenko nous racontait cela.

Comment faire pour ne rien renier, réussir à être une seule personne dans laquelle cohabitent deux identités distinctes ? C'est ce que Polina Panassenko tente avec ce texte original, au style vif et direct, fait de petites phrases courtes et percutantes (par exemple : « Mon père a acheté une TV française. Installée sur le lino du salon, je regarde une histoire d'animaux qui ont sans cesse des problèmes. Ils veulent à tout prix traverser une autoroute. On ne sait pas pourquoi. C'est leur but ultime dans la vie. Une musique épique accompagne leurs vaines tentatives. La communauté est dirigée par un blaireau qui transporte sur son crâne une taupe. Les animaux parlent tous trop vite et font sans cesse des réunions. J'attends patiemment la coupure pub. Son jingle familier. Stabilité et répétition. Je le reconnais à la première note. Je me rapproche de l'écran. Concentration. le Rubik's cube sonore commence. »)

L'identité passe ainsi par les mots, russes ou français, dont le sens est si important pour Polina Panassenko qu'elle en a fait son métier, étant, en plus d'être romancière, comédienne de théâtre. Un joli premier roman, première pierre d'un nouveau parcours à suivre.
Commenter  J’apprécie          320



Ont apprécié cette critique (32)voir plus




{* *}