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Critique de raton-liseur


S'il fallait résumer ce livre en un seul mot, ce serait « boue ». C'est en effet la principale impression que j'en garde, celle d'une boue détrempée, collante, s'insinuant de partout, souillant tout.
Publié en 1916 après avoir fait l'objet d'une publication sous forme de feuilleton dans le journal L'Oeuvre, le feu est présenté comme un roman (ce qui le qualifie pour le Goncourt, qu'il remportera), mais je le qualifierais plutôt de récit, d'une part parce qu'il est basé sur les souvenirs personnel de l'auteur, engagé volontaire peu après le début de la guerre et d'autre part parce qu'il n'y a pas vraiment de progression d'une intrigue, ce livre étant plus une succession de tableaux de la vie dans les tranchées.

Après ces considérations générales, il est difficile de passer aux impressions de lecture. Un peu comme l'on peut se demander si le Goncourt a été attribué à cet ouvrage pour ses qualités littéraires ou par bienséance alors que la bataille de Verdun en est à ses derniers jours, le nécessaire devoir de mémoire, alors que tous les Poilus ont quitté ce monde depuis bien longtemps, contraint ma pensée et engonce mes phrases. Cela est d'autant plus vrai que ce livre, que d'aucuns considèrent comme un des meilleurs témoignages des tranchées, est écrit par un homme qui fut pacifiste avant et après la guerre, et qui pourtant, malgré son âge, malgré sa santé chancelante, s'engage volontairement, et ce dans un des corps les plus exposés, celui de l'infanterie, qui le mènera à plusieurs reprises en première ligne.

Pour prendre un détour qui facilitera peut-être mon écriture, je dirais que ce livre se divise en deux parties. La première, qui fait les deux-tiers du livre, est une série de tableaux, dans lesquels Henri Barbusse décrit le quotidien des poilus, mélangeant une narration et d'abondantes descriptions dans un style travaillé, poli, un peu trop esthétisant à mon goût pour illustrer son propos et des dialogues entre soldats des tranchées dans le style argotique propre à chacun de ses compagnons, un style argotique qui a vieilli et qui rend la lecture un peu ardue pour la lectrice encore jeune que je suis. Pour cette raison, je dois avouer que je suis restée en dehors de cette première partie, spectatrice plutôt distante d'un drame qui se passe là-bas, au loin, pas tout à fait réel, comme sur une toile de cinéma en noir et blanc. J'ai aussi été étonnée pendant tout ce temps de ne finalement jamais voir la guerre. Il est question des repas, des attentes interminables, des jours de repos et des permissions, certes il y a quelques morts, mais la guerre, les obus et les horreurs auxquelles je m'attendais n'étaient pas là et, même si les conditions de vie sont difficiles, inhumaines par bien des aspects, elles semblaient quand même supportables.
Est-ce un remords de l'écrivain qui, arrivé près de la fin de son livre, s'aperçoit qu'il n'a pas dit l'essentiel, qu'il a joué à l'autruche avec le sujet qu'il prétend véritablement aborder ? Toujours est-il qu'à partir du vingtième chapitre, intitulé “Le feu” (comme si le propos essentiel du livre s'y concentrait), Henri Barbusse se rattrape et assène au lecteur toute l'horreur qu'il avait refoulée jusqu'à présent. Encore une fois, ce n'est pas vraiment l'assaut qui est le pire, mais ces visions de morts défigurés, ces hommes dignes et courageux dans leur vie à qui les postures que leur donne la mort enlèvent leur dignité et leur grandeur. Cette soudaine verve noire m'a surprise et, encore une fois, m'a mise à distance.
Et que dire du dernier chapitre, “L'aube”, où le narrateur prend pour la première fois la parole, en un discours exalté et prophétique où, pour la première fois, Barbusse, qui avait su jusque-là montrer toutes les facettes des pensées et sentiments des poilus face à cette guerre et à leur situation, prend directement la parole et appelle à l'union des peuples, comme une vision de la révolution qui éclatera quelques mois plus tard en Russie.

En définitive, c'est un livre dans lequel je n'ai pas su rentrer, un livre par lequel je n'ai pas su me laisser toucher. Il semble que, lors de sa publication, il ait été bien accueilli dans les tranchées et ait fait l'objet de plusieurs controverses à l'arrière (certes, il n'est pas tendre avec les planqués et les civils aux réactions déplacées, mais il est aussi réaliste quant à l'héroïsme supposé de ceux partant au combat). Je ne peux donc que m'incliner et apprécier, sinon sa valeur littéraire, du moins sa valeur de témoignage. Un livre à lire donc, je pense, pour la mémoire, pour savoir que l'horreur des guerres d'aujourd'hui n'a rien à envier à celles d'hier, à lire pour sa valeur historique, à lire parce que même ceux qui l'ont vécu n'ont pas toujours su raconté. Mais d'autres livres sur le même sujet m'ont beaucoup plus émue et marquée. A l'ouest rien de nouveau de Erich Maria Remarque, lu certes lorsque j'étais adolescente, demeure pour moi l'aune a laquelle je mesure les romans de guerre pacifistes.
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