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Critique de Kirzy


Kirzy
02 septembre 2019
°°° Rentrée littéraire 2019 #13 °°°



Le prologue se veut bienveillant à l'égard d'un lecteur qui pourrait être perdu avec tout ce qui va suivre. Il plante le décor, les lieux et les personnages. A savoir, en une époque et un lieu indéfinis post-apocalypse :

- « une histoire d' enfants sauvages » vivant dans ce qu'ils appellent « la Colonie », à la lisière d'une forêt qui fait peur et attire à la fois. Des orphelins, des abandonnés, des malades, des estropiés, des irradiés. Ils ont des noms bizarres ou à rallonge ( Tout-Le-Fait-Rire, Destiny-Bienaimée, Trogne, Tricératops ) et ont crée leur propre société, pas meilleure que celle des adultes, avec ses rapports de force, ses violences, ses dominants.

- «  et puis il y a un village » quasi médiéval traversé d'une lutte des classes entre les grands propriétaires, maîtres des forges, des mines, des éoliennes, et les paysans menés par le berger Darnert qui veulent garder l'usage de la forêt

- « des histoires de religion, dans ce village, il faut les prendre au sérieux », on y trouve des christian, des muslim, des supermuslim et des vrais supermuslim qui menacent l'équilibre et veulent transformer le village en califat

- une forêt mystérieuse avec sa femme-arbre

Là, tu commences à te dire qu'il n'y a pas que la forêt du titre qui furieuse, tu pressens que tout ce roman est carrément fou furieux. Et c'est exactement cela, un véritable OLNI ( objet livresque non identifié ) d'une liberté absolue, qui s'affranchit de tous les genres. Sylvain Pattieu propose même une sorte de syncrétisme détonnant à partir d'un viaduc d'inspirations complètement hétéroclites : les récits mythiques des trois monothéismes ( par exemple, le nom de la Colonie est celui du roi de Salem dans la Bible, Melkisedek ), des légendes pyrénéennes ( les sabots de Bethmale, avec leur pointe en aiguille pour encorner les coeurs ), la guerre historique des Demoiselles en Ariège au XIXème siècle ( ou comment des paysans en rébellion contre un code forestier leur interdisant l'usage de la forêt se déguisent en femmes pour attaquer les grands propriétaires et les maitres des forges ) , le roman Sa Majesté des Mouches de Wiliam Golding et sa communauté d'enfants livrés à eux-mêmes etc

Le récit est incroyablement foisonnant et multiple, et pourtant, jamais je ne m'y suis sentie égarée. Au contraire, on sent que l'auteur sait où il va ; lorsqu'il croise les histoires, elles se finissent par se recouper de façon très cohérente, un tour de force pour un roman qui frôle avec le fantastique et l'imaginaire.

On est clairement dans la littérature de « genre », entre roman épique, roman d'aventures, récit postapocalyptique. Et pourtant, il n'est en rien déconnecté de la réalité contemporaine, le lecteur reconnaît parfaitement le monde d'aujourd'hui, notamment la deuxième partie «  Les vrais supermuslim » qui décrypte sous couvert romanesque le phénomène du djihadisme avec brio, tout particulièrement avec le personnage du jeune Brille.

En fait, tous les personnages sont passionnants, Danert le berger rebelle déguisée en demoiselle ; Esclarelys, son ancienne amoureuse Esclarelys qui canalise sa fougue amoureuse et sexuelle en se convertissant en vrai supermuslim des plus zélées ; et bien sûr, La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule devenue sous le nom d'Onyx une sorte de Jeanne d'Arc animée par les voix de la Femme-Arbre, une jeune fille puissante qui devient le guide des enfants perdus ; le conteur Mohamed-Ali dont les chants et poèmes ponctuent habilement le récit et lui apporte du coffre.

Cerise sur le gâteau, cette formidable vitalité romanesque est incroyablement portée par une écriture forte, très originale, métissée, puisant aussi bien dans la fougue homérique que dans la rythmique contemporaine du slam ou du rap. Les phrases sont longues, très travaillées, lyriques, poétiques, parfois peu ponctuées, amples. Elles m'ont happée, essoufflée, enthousiasmée.

Vraiment un roman, type exercice de style, étonnant, très singulier, qui détonne dans la production littéraire actuelle par son sens absolue de liberté.
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