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Critique de LaBiblidOnee


« Les habitants de Gênes ont fui ou se terrent chez eux. La ville est déserte et l'état de siège a été proclamé. » Ainsi commence ce récit choral qui relate, durant le G8 à Gênes en 2001, l'affrontement des manifestants avec les forces de l'ordre. C'était il y a déjà 20 ans, j'étais trop jeune pour me rappeler les tenants et aboutissants de ces événements. Généralement, quand on se plaint que la police « ose » riposter contre les casseurs qui, eux, brisent tout et blessent tout le monde sans état d'âme, ça m'énerve profondément. Pourtant, lorsqu'elle n'est pas contrôlée, la violence d'où qu'elle vienne engendre la violence jusqu'à, parfois, ne plus pouvoir être maîtrisée. C'est ce qui s'est produit en ce juillet 2001 à Gênes, dans un climat que nous avons connu récemment avec les gilets jaunes. Sauf que j'ignorais que cela avait fini si mal, ainsi que le contexte particulier qui a conduit à cette issue.


Frédéric PAULIN nous fait assister à la montée en puissance des idéologies contestataires : les non-violents, puis ceux qui utilisent la violence symbolique (les tuniques blanches), et les véritables casseurs (le black bloc). Dans le même temps, on assiste aussi à la propagande de peur lancée par le gouvernement italien de Berlusconi pour, d'une part, justifier l'état de siège et l'interdiction de la zone politique aux manifestants (ce qui les motive encore plus car ils trouvent inadmissible d'être interdits de manifester à l'endroit où se déroule le sommet proprement dit) et, d'autre part, justifier l'utilisation de la force répressive pour endiguer la violence quand elle se déploiera. « Leur idée, c'est de pénétrer dans la zone rouge. Ca, le Gouvernement ne le permettra pas ». En effet, tout le monde est persuadé que les casseurs veulent mettre la ville à feu et à sang. Si l'instrumentalisation des médias fonctionne si bien, c'est que les manifestations du précédent sommet politique, à Göteborg, ont marqué les esprits :


« Des chevaux fous de peur lancés au galop sur une foule brandissant des drapeaux rouges et noirs. Des incendies, des commerces ravagés, des chaussées dépavées, une ville dans la chaos. Un vent de colère et le refus qui souffle depuis loin, très loin, remontant sans doute le fleuve Göta älv pour se déverser dans les rues. le Gouvernement a envoyé la police en armure et la gendarmerie montée. Des véhicules blindés foncent sur les avenues, écartant les émeutiers comme le patriarche ouvrit la mer. Mais cette mer d'hommes et de femmes vociférant, projetant des pavés et des bouteilles sur la soldatesque, se referme aussitôt après leur passage. »


Les manifestants ont dépassé les bornes de la violence au sommet précédent, l'Italie de Berlusconi compte s'en servir pour affirmer sa puissance. Frédéric PAULIN nous fait alors infiltrer les coulisses des manigances entre Conseillers politiques, les enquêtes journalistiques au coeur de l'action à la recherche du scoop, ou encore la vie paranoïaque des manifestant qui se savent infiltré par les flics, les balances et même deux agents de la DST qui n'ont rien à faire là et n'avaient pas du tout envie d'aller risquer leur vie pour satisfaire une demande politico-politique… Mais les manipulations sont telles que nous nous retrouvons bientôt tous pris au piège de l'Histoire. « La situation devient ubuesque : des flics, une journaliste, un traître et une pure et dure vont tranquillement se balader au milieu du black bloc ». Les forces de l'ordre ne veulent pas vraiment en venir aux mains, mais les discours alarmistes de la hiérarchie, qui leur a ordonné d'être prêtes à répliquer à mort si nécessaire, les échauffent « Si on essaye de vous tuer, je vous ordonne de répliquer oeil pour oeil, gronde le commandant ».


Les manifestants, quant à eux, n'ont pas toujours l'air d'avoir choisi la voie de la protestation par intime conviction mais plutôt par dépit, à force de ne pas réussir à percer les milieux intellectuels sans piston et se persuadant que tout cela est la faute des « petits bourgeois ». A les entendre, eux seraient des saints : « On veut qu'ils sachent que la violence, on ne fait que la retourner contre les flics et l'Etat qui l'utilisent bien avant nous ». Sauf que cette manif ne fait pas exception : ce sont d'abord les manifestants, qui se sentent si libres et si forts après avoir pété des pare-brises et des boutiques, qui agressent gravement les forces de l'ordre dans leurs véhicules. Celles-ci ne font que répliquer au départ - à la grande surprise des manifestants qui ne comprennent pas qu'on s'en prenne à eux en retour ! A ce moment de l'histoire, les écouter raisonner ne donne vraiment pas envie de les plaindre ni de les soutenir. J'ai apprécié ça : que l'auteur ne me force pas à me faire apprécier ou plaindre les manifestants plus que les autres parties en présence.
D'ailleurs les journalistes qui les suivent et les connaissent ne sont pas dupes : « Gênes pour eux, c'est un grand terrain de jeu où il faut casser le plus de vitrines, faire cramer le plus de bagnoles et, bien sûr, échapper à la police ; rien d'autre », « qu'importe la couleur du flacon pourvu qu'ils aient l'adrénaline » parce que (ça c'est moi qui le rajoute) c'est quand même plus facile de détruire ce que les autres sont parvenus à construire dans leur vie de de se construire une vie à soi. « Si j'appartiens au black bloc, c'est parce que le monde dans lequel je vis est monotone et effrayant. Essayer de le détruire est une jouissance ». Et c'est tellement facile, quand nos polices ont l'ordre de répliquer le moins possible.


Pourtant ici, plus le roman avance, plus on se rend compte que le climat délétère instauré par le gouvernement néo-fasciste, et notamment les ordres et discours aux polices ont portés leurs fruits : « ici, à Gênes, les flics n'ont pas l'air prêts à respecter les règles ». Car finalement c'est bien ce dont il est question : la facilité avec laquelle l'histoire peut se répéter et dégénérer si rapidement, avant que les garde-fous ne se mettent en action. Sur fond de fascisme et de guerre civile, Frédéric PAULIN fait monter la tension jusqu'au point de non-retour, jusqu'à ce que La Nuit tombe sur nos âmes… On regarde ces scènes de guerre où tout le monde a peur, et l'on voudrait que les casseurs en profitent quand même pour comprendre que : « cette terreur, c'est celle qui saisit lorsque l'Etat n'assure plus la sécurité de ses citoyens ». Mais le temps n'est pas encore à la réflexion : aux yeux du monde, et surtout des dirigeants italiens, la violence des manifestants vient simplement de donner une bonne raison aux autorités de se défendre, de riposter, et de frapper plus fort encore. Et une fois les chiens lâchés, qui peut les arrêter ? Quand l'ampleur du désastre apparaît enfin, il est trop tard ; il ne sera plus temps que des sanctions et des procès, des jugements européens.


Si, du fait de ce papillonnage d'un univers à l'autre, je ne suis pas parvenue sur le moment à entrer réellement dans l'un quelconque des personnages et à m'identifier ni à m'attacher à l'un d'eux, l'auteur parvient en 250 pages à reproduire une assez bonne vue d'ensemble de l'ambiance et de chaque partie en présence. On en retient que le danger vient de l'extrémisme en lui-même, de quel que bord qu'il soit (Etat ou citoyen). J'ai pensé au départ que nous faire entrer davantage dans les motivations et convictions profondes des uns et des autres aurait gagné en profondeur. Mais nul besoin en réalité : c'est la fin qui donne le dernier coup de massue, et m'a achevée. C'est encore elle qui donne sa profondeur et sa raison d'être au roman. Une oeuvre importante car réaliste et toujours d'actualité. Menée tambour battant, mais rondement menée.
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